Rubrique Épistémologie

Rubrique épistémologie

Épistémologie: les conditions, la valeur, les limites de la connaissance humaine

François Dagognet

Réflexions épistémologiques sur la vie et le vivant

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  La notion de substrat (suite 2)

L'anatomie ne saurait donc revendiquer le privilège de l'antériorité didactique ou chronologique. Le problème de son importance a d'ailleurs été tranché par Claude Bernard de la manière la plus antipositiviste qui soit. Auguste Comte se trouve directement visé, puisque la physiologie se pose non comme le complément, mais comme la négation d'une anatomie discréditée. Claude Bemard souligne l'opposition de nature qui éloigne, sans transition possible, l'anatomie cadavérique du travail physiologique : " À quoi ont servi, par exemple, les dissections les plus minutieuses du cerveau ou de la rate, du corps thyroïde ou des capsules surrénales ? Ne connaît-on pas aujourd'hui très exactement l'anatomie microscopique de la rate, du corps thyroïde 11...]. Connaît-on pour cela leurs fonctions? Non et on ne le saura jamais que par l'expérimentation ". Ainsi se trouve contredite la recommandation de Comte : l'organe donné, trouver la fonction.

Dans sa réfutation détaillée des prétentions de " la déduction anatomique ", Claude Bernard montre comment des organes à contexture semblable se différencient par leur travail physiologique (parotide et pancréas) et comment des tissus histologiquement différents fonctionnent similairement (muscle lisse et muscle strié). Pis encore, l'anatomie introduit des faux problèmes et ne soulève que des questions spécieuses: "On prend les organes les uns après les autres, et l'on se demande, à propos de chacun: à quoi sert-il?". Mais, pour le physiologiste, un organe ne réclame pas de fonction, pour la bonne raison qu'il ne lui reconnaît pas d'existence biologique. La physiologie étant la biologie du travail, on ne saurait rendre équivalente à la partie d'un travail la pièce d'une machine, sous prétexte que la machine entière fabrique un instrument complet. Si une montre indique l'heure, est-ce une raison, demande Claude Bernard, pour s'imaginer que la division en heures et en minutes appartienne pour une partie à tel rouage ou à tel matériau utilisé? La physiologie ne peut entendre que des questions physiologiques pour elle, organes ou tissus n'existent pas. " Ce qui vit, ce qui existe, c'est l'ensemble [.il. Une fonction exige toujours la coopération de plusieurs organes et de même un organe a ordinairement plusieurs fonctions.

Le physiologiste ne peut pas séparer une partie d'un être vivant sans que cette partie elle-même ait perdu dès ce moment la principale de ses caractéristiques qui est celle de vivre avec l'ensemble" (14). Demander alors à quoi sert tel organe, c'est une fausse question de physiologie énoncée par un anatomiste et c'est surtout une fausse question, parce que la manière dont elle est posée entraîne une réponse plus qu'elle ne la sollicite. Il est clair que, de l'inspection histologique du poumon associée à une physiologie sommaire de son fonctionnement, on peut à la rigueur tirer la conclusion qu'il tient l'office d'un soufflet, pour allumer le feu organique ou pour le refroidir, disait l'Antiquité, pour oxygéner le sang, répond la physiologie lavoisienne. Mais l'appareil pulmonaire se comprend mal de la sorte. Il est dégradé, anéanti, sacrifié, alors qu'il exécute pour le profit du corps en entier une espèce de dialectique autrement difficile, à la compréhension de laquelle introduirait la physiologie comparée. Le poumon humain assure des fonctions polyvalentes, infinies et généralisées, sur lesquelles la pathologie jette des lumières vives, mais que la biologie pénètre d'autant plus mal qu'elle reste intoxiquée par la morphologie et la connaissance anatomique. Le jeu du poumon apparemment simple, trop simple, retentit même sur le psychisme et intéresse toute l'endocrinologie.

On se prépare mal à son intelligence avec l'interrogation saugrenue à quoi sert-il ? Claude Bernard nous en assure : ce n'est pas en se demandant: à quoi sert le foie 7 qu'on aboutit à sa fonction glycogénique, mais c'est par l'examen direct d'une difficulté proprement physiologique : où passe le sucre en excès de l'organisme? Problème moins spatial que fonctionnel : par quel mécanisme ? Et comment?

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