Rubrique Épistémologie

Rubrique épistémologie

Épistémologie: les conditions, la valeur, les limites de la connaissance humaine

François Dagognet

Réflexions épistémologiques sur la vie et le vivant

PLAN et  pages : 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7 - 8 - 9 10 - 11 1213 14 15 16 17 - 18 - 19 
 
Bibliographie )

Site Philagora, tous droits réservés

_____________________________________

  La perspective éthologique: les liens entre les vivants. (suite 2)

2) Avec le commensalisme (cum, avec, et mensa, repas) se développe un début de coopération : le héron garde-boeufs suit le bétail dans la prairie. Le déplacement de celui-ci facilite la prise des sauterelles qui bondissent et sont donc débusquées de leur cachette. Le héron peut les saisir mais il s'est servi du boeuf: ce dernier en bénéficie à son tour et directement, parce que les sauterelles dévoraient l'herbe dont lui-même a besoin. Évoquons aussi la pollinisation de la fleur par l'insecte qui la visite:
les deux, la plante et l'animal, en tirent un profit et aucun des deux ne lèse l'autre.

3) Un pas de plus nous introduit à un lien plus positif, la véritable symbiose qui avantage les deux protagonistes, indispensables même l'un à l'autre les bactéries (les nodosités des racines des légumineuses), capables de fixer l'azote, permettent, par exemple, au trèfle de prospérer, mais la plante ainsi revigorée fournit aux micro-organismes des sucres qu'ils ne synthétisaient pas. Chacun reçoit et donne.

4) On peut concevoir des liens de quasi-entretien et d'autodéfense ; pour reprendre un exemple de Carl Von Linné (20), l'herbe garde l'humidité du sol et l'empêche de se dessécher: elle s'abreuvera
de cette eau en même temps que, grâce à elle, elle pourra dissoudre des sels qu'elle aspirera. Bref, ~elle travaille en quelque sorte pour elle, par le biais d'un détour, empêchant les brûlures du soleil et la marche vers la dénudation (ou la désertification). Le seul fait d'exister - d'où son inévitable ombre propice - lui permet de subsister, comme si le végétal créait son " propre milieu ". D'autres plantes fabriquent elles-mêmes leur lit: la destruction et la décomposition des plus âgées servent d'humus à leurs successeurs et ainsi de suite. La terre se bonifie des débris favorables à l'essor de la végétation.

5) Souvent le mutualisme s'estompe et les vivants doivent s'orienter vers un modus existendi, qui vire à la neutralité ou à d'habiles compromis. Le plus notable les conduit à se spécialiser et donc à se déployer là où les autres n'interviennent pas (dans les interstices). Chacun choisit sa propre " niche r' où il se trouve à l'abri. Par exemple, les oiseaux capteront leurs proies à des hauteurs différentes pour lesquelles ils se sont, pour ainsi dire, équipés : on en compte cinq espèces qui parviennent ainsi à se nourrir, sans entrer en compétition avec leurs voisins. Est-ce alors 1' " en-soi " (le dehors) qui sculpte et détermine le " pour-soi "(l'intériorité) ? On pourrait le croire, mais on se tromperait. Le vivant sait se glisser dans son milieu, s'y adapter, voire l'orienter à son avantage. Le dehors dépend peut-être plus du dedans que l'inverse. En toute hypothèse, la souplesse inventive du vivant lui permet d'en épouser les échancrures et d'en tirer parti. -

6) Les individus défendent par tous les moyens leur territoire: ils inventent des solutions habiles, ainsi la simultanéité d'une implication et d'une exclusion, en somme un mécanisme de double sécurité. Nous en empruntons l'illustration à Linné:
" Plusieurs plantes et arbrisseaux épineux tels le Nerprun, le Prunier, le Chardon, l'Onoporde n'ont d'épines que pour écarter les animaux qui autrement détruiraient facilement leurs fruits ; ceux-là cachent, en même temps, sous leurs branches d'autres plantes " (21).

7)11 convient de repenser la relation "prédateurproie ". On l'a trop regardée de manière sauvage, une simple et cruelle dévoration. En fait, cette guerre n'exclut pas la coexistence, une entente implicite entre les deux combattants qui vivent l'un par l'autre, mais surtout l'un et l'autre. En effet, si le prédateur consommait toute sa proie, il ne pourrait plus survivre ou mal, puisqu'il aurait tari la source de ce qui l'alimente: il convient de le tenir pour " dépendant ". À l'inverse, en son absence, se multiplient à l'excès les spécimens qui ont été épargnés ou qui ont échappé à la décimation. Ils pullulent alors. On doit vite en appeler à ceux qui les chassaient ou les bornaient. Au bout du compte, admettons la stabilité des populations et une sage balance entre elles (l'homéostasie de l'hypertout). Il n'est d'ailleurs pas exclu que les carnassiers ne s'emparent que des maladifs ou des moins robustes:
ils contribuent donc à aguerrir l'espèce. De même, ces chasseurs ne peuvent capturer qu'armés et agiles ; les plus maladroits échouent. Les deux adversaires se fortifient donc mutuellement. Dans le négatif de la suppression subsiste un accord minimal. On peut aller encore plus loin et soutenir que " la figure de la proie" brille dans le désir de son prédateur. Il contient en lui-même ce qu'il poursuit et qui, donc, l'habite. S'entrecroisent intimement l'intériorité et l'extériorité.
8) L'examen des chaînes alimentaires complique le problème des relations. Ainsi Darwin s'est amusé à énoncer des accrochages tout à fait inattendus, par exemple entre la richesse d'un pays et le nombre de ses célibataires (notamment féminins) En effet, il faut des insectes pour féconder le trèfle des prairies plantureuses, favorables aux troupeaux. Mais les mulots détruisent les nids et les rayons de miel des "bourdons qui pollinisent ". Heureusement, les chats poursuivent ces ennemis; ces félins, à leur tour, sont soignés préférentiellement par celles qui vivent seules, aux abords des villes et des villages. On a donc rétabli la continuité assez cocasse, preuve que les vivants s'impliquent sur de larges échelles, à travers des enchevêtrements difficiles à démêler Les êtres forment un immense réseau, aux noeuds et liens variés.

PLAN pages: 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7 - 8 - 9 10 - 11 1213 14 15 16 17 - 18 - 19 

Infogerance hebergement serveurs haut debit