Albrecht
Von Haller défend une nouvelle géographie corporelle,
que les biologistes et les essayistes français
reprendront, orchestreront. Il sépare nettement l'élasticité-rétractilité
- un caractère proprement physique - de l'irritabilité
qui habite les seuls muscles. "J'appelle partie
irritable du corps humain celle qui devient plus courte
quand quelques corps étrangers la touchent un peu
fortement " (2>. Le simple frôlement du scalpel
ou les gouttes d'un acide léger dilué suffisent à déclencher
le retrait, mieux, l'effervescence. Distinguons là aussi
de ce que nous offre le milieu dit celluleux (le
conjonctif), voire n'importe quel ensemble
quand on le coupe, les bords se retirent et laissent un
vide, mais, avec le musculaire, on assiste à une
alternance de relâchements et de rapprochements, un
ondoiement rapide de tensions suivies d'élongations.
Quant à la sensibilité, d'abord elle suppose les filets
nerveux, le pouvoir de transmettre à distance, mais ces
éléments eux-mêmes ne se livrent jamais à l'agitation
précédemment signalée, à tel point que les parties les
plus irritables ne sont point sensibles et que les plus
sensibles ne sont point irritables". D'ailleurs, note
Haller, "j'ai appliqué un instrument de mathématique
divisé en très petites parties. le long d'un long nerf
d'un chien vivant, de façon qu'il me fit apercevoir les
plus petites contractions dans cet état, j'ai irrité le
nerf, il est resté parfaitement immobile (3). Autre
preuve de cette dissociation il suffit de lier fortement
ou même de couper le nerf de son muscle. Ce dernier n en
conserve pas moins une contractilité qu'on peut provoquer
facilement. Haller défend longuement la tripartition : il
détache le musculaire du celluleux et du nerveux.
Retenons donc que le corps enferme en lui des qualités spécifiques,
généralisées et défensives, une réactivité. Les
vitalistes ne l'oublieront pas qui logeront au tréfonds
de la matière vivante une sorte de palpitation rythmique.
Dans le même esprit, mais sur d'autres bases,
Jean-Baptiste Lamarck insistera surtout sur la force des
besoins, les ressources de l'exercice et l'importance des
circonstances. Ce principe entretient tout de suite
l'ambiguïté : est-ce le dehors qui nous sculpte ou
est-ce nous-mêmes ? Mais Lamarck répond nettement:
"De grands changements dans les circonstances amènent,
pour les animaux, de grands changements dans leurs besoins
et de pareils changements dans les besoins en amènent nécessairement
dans les actions. Or, si les nouveaux besoins deviennent
constants ou très durables, les animaux prennent alors de
nouvelles habitudes qui sont aussi durables que les
besoins qui les ont fait naître " (4). Un peu plus
loin Lamarck insiste : "Ce ne sont pas les organes,
c'est-à-dire la nature et la forme des parties du corps
d'un animal, qui ont donné lieu à ses habitudes et à
ses facultés particulières, mais ce sont, au contraire,
ses habitudes, sa manière de vivre et les circonstances
dans lesquelles se sont rencontrés les individus (…)
qui ont, avec le temps, constitué la forme de son corps,
le nombre et l'état de ses organes, enfin, les facultés
dont il jouit" (5).
En somme,
l'emploi réitéré, l'effort, les habitudes, ou
inversement la domestication, le renoncement, transforment
peu à peu l'animal: il est ce qu'il devient qu'il
devient. La morphogenèse l'emporte franchement. Sous l'état,
apparemment plat, pauvre, inerte, découvrir la fonction
Le défaut d'exercices, à la longue, atrophie plus tard,
l'appareil s'anéantit. Les descendants eux-mêmes en
seront privés (hérédité de l'acquis). Au contraire,
tout organe prend peu à peu des dimensions et un développement
s'il est sollicité. Il suffit d'avaler (sans mastication)
pour que les dents involuent ou encore " les serpents
ayant pris l'habitude de ramper sur la terre, et de se
cacher sous les herbes, leurs corps, par suite d'efforts
toujours répétés pour s'allonger, afin de passer dans
des espaces étroits, a acquis une longueur considérable
et nullement proportionnée à sa grosseur. Or, des pattes
eussent été très inutiles à ces animaux, et conséquemment
sans emploi " (6). Lamarck donne aisément la scène
inverse " L'oiseau, que le besoin attire sur l'eau
pour y trouver la proie qui le fait vivre, écarte les
doigts de ses pieds lorsqu'il veut frapper l'eau [...]. La
peau qui unit ces doigts à leur base contracte, par ces
écartements des doigts sans cesse répétés, l'habitude
de s'étendre " (7) (des palmes).
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