Lamarck
multiplie les illustrations ou les témoignages en faveur
de cette vitalité ingénieuse la fonction crée l'organe
à la longue. La nature se borne à une sédimentation.
Elle est partie de Ultra-rudimentaire, puis, peu à peu,
elle a régulièrement empilé les " strates s>
d'une organologie qui s'est complexifiée (composition
additive et graduée). Ici encore, nous ne conservons que
la conclusion: le vivant comme résultante d'un dynamisme,
d'un travail quasi pulsionnel (les besoins, l'adaptation)
et qui transmet ses victoires.
3) La
culture tendrait à voiler l'évidence salubre d'une vie
prodigue, écrit Georges Bataille : en effet, la
bourgeoisie industrielle nous conduirait à en limiter la
portée. Non seulement elle a remplacé l'aristocratie et
supprimé les fêtes somptuaires, autant que
spectaculaires, mais surtout elle met en avant l'économie
de profit, l'acquisition à meilleur coût,
l'accumulation, l'épargne. Elle écarte de notre vue,
comme de la sienne, la dépense folle, les excès, le désordre
même ; elle éloigne les représentations orgiaques elle
chasse ce qui évoque l'exubérance ou la démesure.
Elle a beau partout neutraliser et atrophier, le vivant
harcèle son idéologie productiviste par son
effervescence même : il exsude et il détruit. Georges
Bataille discerne même dans la croissance et la
reproduction des preuves ou des symptômes de cet excédent:
le veau s'acharnerait à gaspiller l'énergie reçue. Si
l'éleveur réussit à le maintenir couché, le volume du
veau en bénéficie: l'économie se retrouve sous forme de
graisse. Si le veau n'est pas tué, le moment vient où la
croissance ralentie ne consomme plus la totalité d'un excédent
accru : il parvient dès lors à la maturité sexuelle ses
forces vives sont principalement vouées à la turbulence
du taureau dans le cas d'un mâle, à la grossesse et à
la production de lait dans celui d'une femelle. La
reproduction signifie en un sens le passage de la
croissance individuelle à celle d'un groupe. Si l'on châtre
le mâle, son volume individuel augmente de nouveau pour
un temps et l'on tire de lui des sommes de travail considérables
(8). Ainsi le développement et surtout la sexualité, au
coeur du vivant, représentent comme de larges canaux où
se répand l'énergie: la vie se doit de bouillonner. Non
seulement elle reçoit, mais elle vise à absorber
beaucoup plus qu'il n'en fallait. Les arbres
multiplieraient leurs feuilles, avides de lumière, de
tous côtés. lien résultera même la mort, parce qu'il
faudra laisser la place aux nouveaux arrivants impatients
et qui pressent (explosions et tourbillons). Le vivant se
signale donc par ses allées et venues incessantes, son
avidité, la guerre, ses sacrifices, le surnuméraire, le
luxe et ses parades. Ne l'enfermons pas dans nos cadres ou
nos concepts qu'il déborde d'ailleurs ne s'est-il pas
emparé des airs et des eaux ? Partout il triomphe et il
éclate.
Dans son livre, L'Érotisme, Georges Bataille lie
solidement la sexualité, la fusion extatique, le
gaspillage, la mort, le don "Le
spermatozoïde et l'ovule, écrit-il, sont à l'état élémentaire
des êtres discontinus, mais ils s' unissent [...]. Le
nouvel être est lui-même discontinu, mais il porte en
lui le passage à la continuité, la fusion, mortelle pour
chacun d'eux, des deux êtres distincts [...]. L'action décisive
est la mise à nu. La nudité s'oppose à l'état fermé,
c'est-à-dire à l'état d'existence discontinue. C'est un
état de communication, qui révèle la quête d'une
continuité possible de l'être au-delà du repli sur soi.
Les corps s'ouvrent à la continuité" (9).
La dissolution des formes, la profusion et même la
transgression l'emportent ainsi sur la dépense et la
violence. On ne saurait nier l'acuité de ces analyses
mais Georges Bataille a transformé, croyons-nous,
quelques données en principes. Nous tenterons de dépasser
ce "qualitatif" qu'on a majoré et si bien pathétisé.
Il faut tout prendre en considération et ne pas s'en
tenir aux seules arêtes du phénoménal.
Les anthropologues, les naturalistes et les premiers
physiologistes nous ont orientés vers une théorie de la
vie surabondante, inventive et même insaisissable. Plus
tard, on amplifiera encore la thèse avec l'élan vital.
Et la vitalité signifiera l'inépuisable et la profusion.
Nous ne méconnaissons pas l'originalité ni l'intérêt
de cette perspective mais nous ne saurions y souscrire.
Nous la combattons même.
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