Il ne
suffit pas de définir le vivant: il importe de chercher
à savoir comment il fonctionne. La macrophysiologie
devrait nous permettre de mieux le comprendre. Cette
science, en tant que telle, ne peut vraiment intéresser
que le physiologiste, soit à des fins pédagogiques (s'il
l'enseigne), soit pour des raisons pragmatiques (les
diverses applications, notamment médicales). Elle devrait
cependant passionner aussi "le méthodologiste"
dans la mesure où elle soulève des problèmes épineux.
Comment, en effet, s'insinuer dans un corps fermé et
autonome (celui du vivant), qui se défend contre toute
intrusion et vise à annuler les modifications qu on lui
inflige ? Si on l'altère trop, il changera; mais sans
cette " altération o, l'expérimentation ne dépassera
pas le stade de l'observation. Il faut tabler sur des données
comparatives. On a encore souligné, à juste titre, les
caractéristiques individuelles des êtres, aucun ne
ressemblant à aucun autre : cette singularité interdit
les généralisations.
Toutes ces raisons introduisent précisément à une
question apparemment insoluble, celle de la connaissance
de la vie. Il faudra donc inventer des stratégies, opposées
aux ruses et aux complexités de l'organique, qui
parviendraient, en dépit des obstacles signalés, à se
glisser dans les jeux fonctionnels et à les tirer au
clair. Comment entrer dans ces labyrinthes?
Avec la physiologie, la biologie pénètre dans le monde
authentique des problèmes de la vie ; on en arrive à
toucher du doigt cette fameuse dialectique biologique d'un
organisme appelé à résoudre les problèmes qu'exigent
son maintien et son fonctionnement. Si par certains côtés
vivre, c'est survivre, on conçoit que la physiologie ne
se préoccupe que des moyens mis en oeuvre, que de la
dynamique des processus vitaux qui assurent la régulation
d'un organisme sans cesse sollicité. Les soucis de
morphologie oubliés et même valablement niés, il ne
s'agit plus maintenant que de contraction, que de
synergie, que de défense, que de stimulation, ou
d'inhibition, que de sympathie, c'est-à-dire de solidarité
fonctionnelle ; et les problèmes posés, dans cette
perspective nouvelle avec ces concepts nouveaux, c'est par
exemple le mécanisme de la croissance, de la
reproduction, c'est la production de la chaleur animale,
qui tous alertent un organisme en entier, sans qu'on
s'inquiète sérieusement des systèmes mis à l'ouvrage
ou des appareils isolés. Pour s'avancer dans la résolution
de ces problèmes, la biologie croit devoir s'aider de la
technique de l'expérimentation, c'est-à-dire qu'elle éprouve
assez l'organisme pour connaître l'étendue de ses
possibilités et la nature de ses réponses:
expérimentations variées qui vont de l'intervention sur
l'animal (ablation de tel segment, section de telle voie,
dérivation de tel canal) à des actions aussi
inoffensives que la fixation des rations alimentaires ou
la radiographie du tractus gastrointestinal. On paraît
tenir une méthode adéquate, puisque essentiellement
active et tournée uniquement vers la mise en lumière de
processus fonctionnels, effectivement réalisés par la
vitalité d'un organisme, pour lequel il doit être plus
question de forces que de formes.
En effet, puisque la physiologie n'expérimente que sur
l'animal, elle devrait se pénétrer de l'évidence que
chaque animal forme comme un monde fermé et incomparable.
L'animalité, par certains côtés, c'est souvent la
solution d'un problème qui n'est proposé qu'à elle
seule et qu'elle résout à sa façon. Walter Bradford
Cannon le souligne lorsqu'il oppose chien et chat,
absolument insuperposables. Le premier élimine sa chaleur
par halètement, au contraire du second. Le volume
pulmonaire, la capacité cardiaque, etc., chez le chien,
n'apparaissent que sur le profil de sa nature énergique
et remuante, alors que le chat, par contraste, révèle sa
spécificité dans le fait qu'il ne supporte pas une
sympathectomie étendue. Or, si le chat totalement
sympathectomisé ne peut vivre que dans la chaleur
protectrice du laboratoire, le chien échappe, avec la même
mutilation, à cette limitation: il supporte la chaleur et
le froid. À ce sujet, on sait que chaque espèce se sauve
de la difficulté à sa manière : les uns, comme la
marmotte, par la torpeur de l'hibernation, et d'autres,
tels certains oiseaux, par l'astuce de la migration
saisonnière. Alors donc que les chats de Cannon
ne peuvent plus supporter la déperdition de chaleur
qu'entraîne la sympathectomie, laquelle empêche le hérissement
des poils et la lutte vasomotrice, le chien
supporte cette sympathectomie étendue grâce à
l'importance de sa masse musculaire et au fait qu'il
frissonne facilement. Il use de moyens de lutter différents.
Quand on en arrive à l'homme, sans parti pris d'étendre
à son cas des préjugés, la question se pose de savoir
les conséquences exactes d'une sympathectomie
chirurgicale presque généralisée: à en croire René
Leriche, elle serait mieux que compensée ou tolérée. Le
sympathique avait été trop conçu sur le principe d'expériences
réussies sur les chats des laboratoires. Chez l'homme, le
sympathique irait même jusqu'à jouer un rôle néfaste
de restriction son ablation entraîne, avec une
vasodilatation active, l'allégresse de la santé. On a
supprimé un contrôle, une surveillance bornée. De fait,
on connaît, après un traumatisme, les bienfaits de sa
suppression, selon une thérapeutique salutaire et tentée
à l'encontre de l'orthodoxie régnante.
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