Rubrique Épistémologie

Rubrique épistémologie

Épistémologie: les conditions, la valeur, les limites de la connaissance humaine

François Dagognet

Réflexions épistémologiques sur la vie et le vivant

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  Le sanctuaire biochimique 

Le chimiste se présente à nous comme le philosophe de la biologie par excellence et même comme son prophète. Il n'ignore pas qu'il arrive le dernier dans la genèse des points de vue, que l'anatomie puis la physiologie l'ont précédé, mais, justement, il en tire le commencement d'une validation : la chimie biologique s'inscrit,
dans la courbe du progrès, au terme d'une croissance. Ce qui va rendre éminemment profonde la biochimie sous le jeu divers de ses formules et à travers la complexité apparemment artificielle des oxydo-réductions, des décarboxylations et des désaminations, c'est sa capacité de compréhension par une infrastructure matérielle et étrangère.

"Étayer sur des bases enzymologiques et sur la notion des déviations, génétiques ou acquises, des réactions normales, une pathochimie, prolégomène étiologique et pathologique à toute la médecine interne ", tel s'affirme, selon Jacques Polonovski, l'idéal de la biochimie : traduire toujours en langage chimique la symptomatologie des entités morbides, pénétrer assez à l'intérieur du sanctuaire biochimique afin d'équivaloir la pathologie entière à une pathochimie et " ne demander, écrit encore Polonovski, qu'aux modifications cinétiques des seules réactions chimiques l'explication majeure des syndromes observés, l'origine des troubles morbides, la clé de toutes les thérapeutiques " (15). Cet ambitieux projet, qui se réalise chaque jour peu à peu, puisque les troubles du coeur ne se lisent plus que sur l'électrocardiogramme, puisque les chances de consolidation d'une fracture s'évaluent à partir du chiffre mesurant des unités de phosphatase et même puisque l'éventualité d'une thrombose se prévoit à partir du test à l'héparine, pour ne citer que quelques faits, ne sera qualifié de présomptueux que par les ignorants. Il faut savoir, pour en tirer une leçon, que la biochimie a toujours vaincu les critiques restrictives qu'on accumulait sur sa route et qu'elle a invariablement confondu ses détracteurs. Bergson lui-même prétendait que " la science n'a reconstitué jusqu'ici que les déchets de l'activité vitale les substances proprement actives, plastiques, restent réfractaires à la synthèse [.4. C'est sur ces faits d'ordre catégénétique seulement que la physico-chimie aurait prise, c'est-à-dire, en somme, sur du mort et non sur du vivant" (16). Plus loin, Bergson limite la chimie biologique à l'étude des phénomènes qui se répètent, donc aux phénomènes les plus détachables du vivant, aux plus abstraits, ceux sur lesquels ne mord pas le temps créateur. En somme, la chimie ne peut toucher que le déchet ou l'abstrait. Mais l'avenir de cette chimie a pleinement donné tort aux allégations bergsoniennes. La biochimie dynamique sait étudier aujourd'hui les phénomènes de synthèse, d'ana-genèse ou d'édification par l'utilisation de la radioactivité, on peut modifier, mieux, marquer un élément assimilé, pour suivre sa trace dans l'organisme. De fait, on connaît le processus de formation des molécules essentielles ; on sait, par exemple, que la radio-iode se fixe sur le corps thyroïde et sur l'hypophyse, le compteur de Geiger, sensible aux rayonnements, repérant les lieux d'élection. L'emploi des isotopes va dans le même sens et il a permis à Schiinheimer de préciser ce qu'il a appelé "l'état dynamique de la matière vivante ", les molécules protéiques se renouvelant avec une vitesse étonnante. La chimie biologique ne s'en tient guère aux termes de l'opération, mais, au rebours, elle entre dans le labyrinthe du métabolisme intermédiaire, avec ses " plaques tournantes " qui déroutent elle connaît le devenir de n'importe quel acide aminé absorbé dans l'économie ; elle sait dans quels cycles il est pris et les transformations qu'il subit:i1 suffit de songer aux subtilités de l'uréogenèse et aux mécanismes de la
transamination. Quant aux processus temporels, ils n'ont pas échappé à l'emprise de la chimie médicale, qui a brodé sur eux ses thèmes les plus déliés depuis la formation jusqu'à l'arrêt de la cicatrice, la vieillesse et même la puberté, le dynamisme de l'oeuf fécondé, l'immunité et aussi la marche insidieuse des plus minimes lésions.

Le chimiste de la biologie est comme le Sophiste insaisissable des dialogues de Platon: il se dérobe et joue l'espérance au moment où vous croyiez le saisir en flagrant délit de faiblesse, prêt à reconnaître son échec. Et puisque nous ne partageons pas ses croyances, c'est un jeu serré que nous devrons jouer. Nous ne demanderons pas à la biochimie de se reconnaître elle-même moins comme un jeune projet que comme une vieillerie. En effet, le rêve date si peu d'hier que l'iatrochimie fleurit dès le XVIIe siècle, où Sylvius applique à l'organisme la chimie de Jan Baptist van Helmont. Les fermentations, les distillations, les effervescences doivent tout éclairer irrésistiblement. La sécrétion des glandes évoque le pressoir et la chaleur animale résulte des énergiques frottements des globules contre la paroi des vaisseaux. Mais un argument de ce poids ne pèse pas autant prétendre - certains n'ont pas reculé - que l'atomistique contemporaine n innove pas, qu'elle reprend les vues de Lucrèce et de Démocrite, sous couleur que, dans les deux cas, on en appelle aux atomes.

Au reste, à n'envisager que les seuls principes, il apparaît que la chimie biologique vit d'un double rythme et qu'elle diffère selon l'un ou l'autre le biochimiste ramène toute la matière vivante au jeu de trois composés, les trois archétypes de son monde: le glucide (ou sucre), le lipide (ou graisse) et la protéine (ou albumine).

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