Les
données tirées de la micro-analyse, de l'histologie, de
la biologie cellulaire, permettent de réfuter ces
objections, voire de les retourner contre elles-mêmes. La
vie ne consiste pas à déborder ou à ignorer ou à
transcender la matérialité, mais davantage à
l'exhausser et à lui conférer, du même coup, des
potentialités. Raison de plus pour toujours devoir
accorder les deux, l'organicité et la physico-chimie, ou
encore le dynamique et le morphologique. Si Claude
Bernard, le savant, travaillait à les relier, le
théoricien-philosophe plaidait en faveur du divorce et
l'approfondissait. Mais le savoir de ce théoricien ne
peut pas servir à imposer ou valider une théorie de la
science biologique, en porte à faux par rapport au
premier. Enfin le troisième argument, " regardez le
foie et vous n'y trouverez pas la fonction que j'y ai
moi-même découverte ", nous semble lui-même assez
spécieux. Claude Bernard a, en effet, dévoilé ce rôle,
celui d'assurer et d'assumer la régulation glycémique
(constante du taux du sucre dans le sang). L'anatomiste,
à lui seul, ne le pouvait pas ; faut-il alors le mettre
en échec ? En réalité, ce savoir relève pleinement de
l'histologie et de la biochimie cellulaire : on ne peut
pas l'extraire de 1' inspection d'un organe (macroscopie).
Si le biologiste avait pu colorer au moins les
constituants du tissu hépatique, ses réserves, voire les
organites situés dans le cytoplasme des cellules, il
aurait déjà aperçu les stocks de glycogène (dit
l'amidon animal), mais on ne saurait reprocher à une
observation globale de ne pas livrer ce qu'indiquera
seulement une observation plus fine et instrumentée.
Comment aussi savoir ce qu'une glande ou un tissu
élabore, à travers quelles opérations ? Tant qu'on ne
dispose pas de réactifs appropriés et d'instruments de
séparation ou de moyens de fixer les étapes
transitionnelles, on l'ignore en effet, on reste
momentanément dans l'incertitude au sujet de la
surrénale, de la thyroïde, de la rate, pour reprendre
les remarques de Claude Bernard; mais, au lieu de plaider
en faveur de l'échec de la bioanalyse matérielle,
instituons au plus vite les méthodes de détection et de
décomposition substratique. En conséquence, nous
préférons les recommandations d' Auguste Comte, que
blâme Claude Bernard: "Etant donné l'organe ou
la modification organique, trouver la fonction ou l'acte
et inversement" (10). Le philosophe ajoute
judicieusement: "Ma définition de la science
biologique s' écarte beaucoup, il est vrai, des habitudes
actuelles, en ce qu'elle a peu d'égards à la distinction
vulgaire entre l'ana et la physiologie, qui s' y trouvent
intimement combinées" (11).
Les penseurs penchent trop souvent pour la dissociation :
l'un des défenseurs les plus insistants de la vitalité,
Henri Bergson, par exemple, n'a pas cessé d'opposer la
fonction indécomposable, tel le geste, à la multitude
des moyens mis en oeuvre qu'on peut toujours encore
morceler. Comment, par exemple, "le voir", si
rapide et si réussi, pourrait-il dépendre d'une
machinerie de pièces nombreuses et qu'un rien pourrait
dérégler 2 Qui les
aurait alors ajustées les unes aux autres. L'intelligence
destructrice a probablement fabriqué de faux problèmes
et elle ne pourra pas recoudre ce qu'elle a
artificiellement déchiré. On ne peut pas loger
entièrement ni vraiment l'acte dans le multiple d'un
support éclaté. Henri Bergson souligne inlassablement le
contraste " entre la complication à l'infini de
l'organe et la simplicité extrême de la fonction"
à tel point que celle-ci ne peut pas s'expliquer par
celui-là. On recommence, sur d'autres bases, à
prôner le dualisme.
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