Une autre
propriété a été mise en évidence afin de
caractériser le vivant son buissonnement, les excès
ornementaux ou les folles dépenses. Plantes et bêtes ne
compteraient pas et s'élanceraient de tous côtés, à
travers leurs feuilles, leurs fleurs et les phanères les
plus variés. Le mot " vie " ne suggère-t-il
pas, d'ailleurs, le refus du calcul, l'ardeur,
l'épanouissement ? Mais le darwinisme le plus sommaire
devait corriger cette interprétation abusive: il
découvrira la "raison d'être" et même
l'économie de cette exubérance nullement gratuite.
La guerre sexuelle crée la pire des concurrences, plus
acerbe encore que la lutte pour la nourriture, d'où
l'obligation, pour tous les vivants avides de se
reproduire, d'être reconnus en priorité, donc de se
singulariser. Afin de l'emporter, il faut l'excentricité,
ou la frénésie morphique, ou la débauche des teintes.
Darwin ne s'est pas contenté d'avancer une hypothèse, il
a donné des preuves de cette logique de la fièvre. En
voici quelques-unes, parmi les plus simples :
- Il n'est pas nécessaire qu'elle concerne les
représentants des deux sexes ; un seul suffit; la femelle
ou le mâle distinguera alors le plus notable. C'est
pourquoi l'étalement (fonctionnel) ne touche
généralement que l'un des deux. Pas de débordement!
- De même, la jeune descendance ne connaît pas ces
manifestations d'ostentation qui n'apparaîtront qu'au
moment des amours. Pas d'anticipation coûteuse
- Comme les bêtes doivent souvent se cacher de leurs
nombreux prédateurs, elles devront souvent renoncer -
surtout les plus menacées - à la voyance des crêtes ou
des plumages ou de la brillance pour un comportement gris,
silencieux et moins perceptible de loin. Le camouflage
s'impose, d'où alors, au lieu d'un exhibitionnisme
bruyant, un comportement de danses et de pirouettes. Par
là, on alerte moins l'ennemi et on amuse sa partenaire,
sensible à ces gesticulations et pantomimes.
Laissons là les mille détails qu'a relevés Darwin.
Gardons le principe d'une vie rusée qui ne joue pas,
même dans ses apparentes fantaisies elle ne connaît que
l'utile. Le coloris des fleurs attire aussi les insectes
qui les visitent et exportent au loin leurs semences.
Quelquefois la logique du biologique échappe, mais il
suffit de se reporter en arrière, dans un ultra-passé,
pour en saisir la pleine signification cette ancienne
dépense ne subsiste que comme vestige l'évolution n'a
pas encore effacé ni telle échancrure ni le coloris de
l'attirance, encore qu'elle ne manque pas de l'atténuer
à la longue.
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