La molécule
de l'anatomie est donc le tissu, l'organe, mosaïque ou mélange
confus de ces tissus, nous éloigne de la vérité. La
fonction découle effectivement de la somme des propriétés
tissulaires.
Poursuivi, le morphologiste peut encore, comme dit Paul
Valéry, "se réfugier dans le maquis de la
petitesse". Par l'étude microscopique des éléments,
on gagne comme l'impression de minimiser et de réduire la
difficulté. Mais on s'engage dans une sorte de
dramaturgie de l'infiniment petit, où souvent
l'imagination devra suppléer l'observation. Pour délivrer
l'esprit de l'obsession méthodologique selon laquelle la
description fine risque de l'emporter par sa modestie en
précision et en rigueur, risque enfin de pouvoir saisir
sur le vif les processus mêmes qui nous échappaient au
niveau de l'observation grossière, trop humaine, une
double remarque d'ordre philosophique s'impose:
1) On ne peut pas croire vraiment qu'on touche avec la
cellule l'élément le plus simple, pour la bonne ràison
que la cellule offre l'image d'un système plus complexe
que l'organe lui-même. Dans sa miniature, qui tente puérilement
l'esprit, elle réunit des mondes de complications,
puisqu'elle exécute toutes les fonctions jusqu'ici différenciées
(assimilation, reproduction, respiration, excrétion). Au
lieu de l'équivaloir à un résumé, pourquoi n'y pas
voir plutôt un condensé?
2) L'anatomie à travers le microscope soulève une
difficulté du fait même de son recours à la petitesse.
En effet, aucune analogie ni aucune relation n'est
possible entre le fonctionnel macroscopique et l'aspect
histologique. Or, pour pouvoir réunir valablement ces
deux ordres, la cytologie prête naturellement à la
cellule un rôle de différentielle qu'elle sommera pour
rejoindre le cas réel. Mais celui-ci résulte-t-il de la
polyphonie cellulaire ? Est-il vraiment un résultat, une
somme, et la fonc
tion peut-elle suivre de la multiplication d'un facteur de
base, justement aperçu à travers le microscope ?
L'addition de rôles élémentaires ne donne pas forcément
la physiologie de l'ensemble, un total n'est pas toujours
une somme et inversement. Bref, un moins de matière à
analyser nous vaut un plus de difficultés à résoudre.
Admirons la prudence scientifique de l'histologie qui
s'attache aux détails, mais craignons déjà les romans
de son prétendu réalisme, car, on s'en doute, pour
pouvoir séparer et distinguer dans la bigarrure des
couleurs, l'histologie devra se référer à une
histophysiologie inavouée et parfois inavouable. À ces
remarques philosophiques s'adjoignent d'eux-mêmes des
arguments d'ordre technique sur lesquels nous nous
voudrions d'insister ; c'est tout le problème de
l'artefact, de la coloration et c'est encore la mise en
cause de l'observation cadavérique.
Mais enfin, cela dit, que voit-on sous la lanterne magique
du microscope ? Rien, ou plutôt on est transporté dans
le monde des couleurs où se justifient tous les points de
vue. L'histologie est toujours un beau rêve de
confirmation, une imagerie en rose. Bien sûr, on voit des
globules rouges, des leucocytes en diapédèse, des
mitoses, mais il n'empêche que le problème de leur
signification et de leur arrangement demeure entier.
Quant aux petits drames de l'histophysiologie, qui veut dériver
la physiologie cellulaire à partir de sa morphologie, ils
tiennent le plus souvent de la fantaisie, quand ils
n'induisent pas en erreur. Une cellule recouverte de cils
sert-elle, par exemple, de balai pour chasser les mucosités
ou les poussières offensantes ? Ces éléments ciliés
composent-ils ensemble une sorte de tapis roulant pour
chasser au dehors les agresseurs ? Mais on vient de s'
apercevoir et de reconnaître humblement, dans cet ordre
d'idée ou d'image, que les cellules de la trompe perdent
justement leurs cils au moment où certains leur
confiaient la responsabilité et le soin délicat de
conduire l'ovule de l'ovaire dans l'utérus. On sait mieux
aujourd'hui que l'os ne protège pas, que sa résistance
apparente trompe, et que la solide substance osseuse ne résiste
pas à un mouvement qui la renouvelle sans interruption,
avec une incroyable célérité.
Ce n'est pas sans raison que l'Anatomie se prévaut du rôle
d'introduction dans la leçon d'histoire naturelle, voire
de pathologie, comme si elle préparait à la compréhension
de la physiologie ou de la pathogénie. Il faut dénoncer
l'équivoque. Si la physiologie croit trouver ses preuves
dans une morphologie qu'elle interprète ou qu'elle
contraint, sil' opération réussit pour l'émerveillement
de l'esprit satisfait, c'est parce que la physiologie
elle-même a suggéré les structures et les différenciations.
Ce n'est donc pas un hasard si les rôles sont inversés :
résidu de la physiologie et comme sa caricature, la
morphologie donne une fallacieuse apparence de certitude,
elle matérialise et impose la physiologie dont elle dépend.
L'introduction anatomique et surtout histologique,
innocente et négligée, sans importance, croit-on, semble
seulement destinée à soulever le problème du
fonctionnement. En réalité, elle glisse de façon
insidieuse la solution, ferme la discussion et mystifie.
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