Rubrique Épistémologie

Rubrique épistémologie

Épistémologie: les conditions, la valeur, les limites de la connaissance humaine

François Dagognet

Réflexions épistémologiques sur la vie et le vivant

PLAN et  pages : 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7 - 8 - 9 10 - 11 1213 14 15 16 17 - 18 - 19 
 
Bibliographie )

Site Philagora, tous droits réservés

_____________________________________

  La construction physiologique (suite)

Or, si le fonctionnement du système nerveux végétatif diffère chez le chat, le chien et l'homme, il n'en faut pas plus pour empêcher la physiologie de tirer des conclusions univoques, qui la conduiront nécessairement dans l'abstraction; en biologie, en effet. est abstraite la connaissance qu'on extirpe de son sol et qu'on exporte loin des conditions naturelles où elle s'enracine: tel animal, et non tel autre, qui ne peut jamais lui correspondre que de loin.

Autre extrapolation aussi illégitime, autre négation de la différence, autre confusion, l'expérimentation active qui réussit, par exemple l'ablation d'un organe, introduit dans l'économie du vivant un trouble tel qu'au lieu de se préparer un animal comparable au témoin, moins cet organe dont on veut par ce moyen trouver le rôle fonctionnel, elle se trouve en face d'un animal nouveau, incomparable au premier. En effet, si l'on veut bien se convaincre de l'originalité du point de vue de la physiologie, il serait insensé d'imaginer qu'un organisme moins un organe équivaut à l'organisme sain à une différence près, à moins de concevoir l'organisme comme un assemblage morphologique. Le vivant traumatisé, en fait, réagit de tout lui-même, se supplée, se modifie de fond en comble, pour s'efforcer de supprimer le mal qui lui est infligé : modifications qui touchent tous les dynamismes physiologiques habituels, sans exception, et qu'on aurait donc tort de séparer les uns des autres. Toute altération retentit à ce point qu'elle crée un ensemble original et non homogène au précédent, à moins, encore une fois, de se cramponner à une perspective anatomique qui spatialise les appareils qu'elle juge alors séparés et localise du même coup une lésion qu'elle voit circonscrite.

Qu'en résulte-t-il, en résumé, sinon que la physiologie ne peut pas appréhender pleinement la dialectique biologique, soit à cause de son champ d'action (limité à tel ou tel animal), soit encore à cause du dérèglement général que provoque une intervention limitée, soit enfin à cause de la polyvalence réactionnelle qui suit la même lésion, selon le processus qui l'amène ? Pour prendre la métaphore du logos, disons qu'en physiologie le langage de la réponse animale relève et du quiproquo et de la cacophonie et aussi du soliloque. Un rationalisme concret ne peut pas méconnaître ces différences, à moins de retomber dans l'ornière anatomique, pour laquelle il n'est ni spécificité, ni intégration, ni chronicité.

Si, dans un cas, nous n'entrevoyons que le dehors du trouble, ipso facto nous sommes ramenés à une physiologie de style anatomique et lésionnelle, de laquelle la physiologie devait pourtant nous déprendre. La physiologie ne disposera alors que d'une superstructure spatiale et numérique pour rendre compte des processus vitaux des radiographies, des courbes, des mesures, des pesées. Or, ces facteurs non seulement ne permettent pas de connaître la dynamique physiologique, mais ils l'orientent dans une direction spécieuse ils renforcent le rationalisme d'abstraction de la physiologie, d'autant mieux que l'animal ne proteste pas et se prête souvent aux plus claires démonstrations. Tout est possible, puisque, d'une part, le sujet d'expérience s'offre à toutes les mesures imaginables (formule sanguine, nombre de globules rouges, fréquence du pouls, centimètres cubes d'urine, pression artérielle) et que, d'autre part, jamais des chiffres n'ont eu la puissance interne de s'opposer à l'addition ou au rapprochement.

C'est seulement la clinique humaine qui pourra nous apporter la révélation de la physiologie, non pas de la physiologie réduite aux schémas transparents des manuels, mais la physiologie du baroque, la physiologie de l'infinité fonctionnelle, avec la floraison des symptômes réellement et concrètement éprouvés. La douleur surprend-elle la nuit, selon un horaire et un rythme propre ? Par quelle attitude l'homme cherche-t-il spontanément à la calmer? Peut-il encore monter son escalier, est-il essoufflé ? Et ainsi de suite. C'est seulement la maladie humaine qui autorise et désigne le rapport entre, par exemple, cirrhose du foie éthylique et perte d'appétit, entre céphalée et hypertension, entre gros foie douloureux et insuffisance cardiaque. Le malade lui-même exprime les troubles en incapacités ou en symptômes ressentis, tandis que la physiologie qui travaille sur un matériel indifférent ne peut ou bien qu'essayer de reproduire la clinique et ses syndromes divers, ou bien chercher à l'aveuglette à trouver deux chiffres tenus pour anormaux à la suite d'une modification imposée à cet organisme, ce qui ne saurait signifier pour autant un rapport authentique entre eux, même si leur association se vérifie. Seuls les malades connaissent leurs maladies avec les prodromes qui les annoncent: ils nous enseignent les vrais fondements de la physiologie et nous introduisent dans la région des rapports valables, des véritables essences
.

PLAN pages: 1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7 - 8 - 9 10 - 11 1213 14 15 16 17 - 18 - 19 

Infogerance hebergement serveurs haut debit