La
démarche scientifique nous fait donc saisir les différentes étapes
au cours desquelles se manifeste la liberté de notre esprit:
- Nous projeter hors de nous-mêmes
- Nous affranchir du donné, mais cette distance une fois prise
nous offre une possibilité d'une reprise de soi.
Reste maintenant une étape essentielle la découverte d'un
ordre dans la nature, d'une liaison des vérités
(Pascal), des lois c'est à dire d'un déterminisme.
- L'esprit manifestera alors sa liberté par un consentement à
cet ordre, par une acceptation, c'était le point de vue des stoïciens;
Mais le rationalisme
moderne adopte un point de
vue plus combatif: la liberté sera comprise en "transformant
les obstacles (= la nécessité) en moyens".
Comment
procède-t-il face à cet univers qui lui résiste mais qu'il
veut soumettre?
Penser librement c'est penser d'après ses propres lumières,
d'après sa propre raison, sans subir de contraintes extérieures.
Ainsi lorsque notre esprit par son travail rigoureux découvre les
lois de la nature et les reconnaît comme vraies, il adhère
librement à la vérité puisqu'il y est parvenu grâce à ses
propres règles. Son acte est libre, il n'est dû à aucune
raison étrangère mais à la sienne propre: il n'est
soumis à aucune contrainte extérieure: et le déterminisme
qu'il découvre loin de l'asservir comme le ferait le fatalisme
va au contraire le libérer.
-
Le fatalisme prétend qu'un événement que l'on redoute est inévitable
quoi qu'il arrive auparavant; quoi qu'on fasse pour l'éviter
cet événement se produira quand même. (Cf. Oedipe).
- Au contraire le déterminisme affirme seulement que les événements
sont liés entre eux par des lois nécessaire. Ainsi on sait que
l'échauffement produit la dilatation du métal,
mais si l'on
ne veut pas que le métal se dilate, on ne le chauffera pas.
Ainsi pour se libérer l'homme n'a pas besoin que les lois de la
nature cessent de s'exercer comme dans les contes de fées, mais
au contraire il apprendra à les connaître pour pouvoir les
utiliser habilement et les transformer en instrument de sa libération.
Ce qui lui faisait obstacle deviendra, par des techniques
efficaces, des moyens pour se libérer des contraintes
naturelles. Alain prend l'exemple du bateau à voiles qui, par
une habile manœuvre avance par vent contraire, en louvoyant: le
marin a utilisé intelligemment les lois naturelles qui lui étaient
contraires: la raison agit par détours, par le détours
des lois naturelles.
Ainsi lorsque Spinoza disait que la
liberté consistait dans la prise de conscience de la nécessité
il nous montrait la première condition de notre libération;
Engels écrivait "La nécessité n'est aveugle
qu'autant qu'elle n'est pas comprise". La science en
nous permettant de comprendre les lois qui régissent l'univers
va transformer "l'esclave de l'univers" qu'était
l'homme en maître de cet univers.
Car la liberté ne consiste pas dans le rêve d'une action indépendante
des lois de la nature mais dans la connaissance de ces lois et
dans la possibilité que l'homme se donne de les faire agir systématiquement
en vue de fins déterminées.
Descartes en 1637, dans le Discours de la Méthode (6ème
partie) disait de la science et de la technique qu'elles nous
rendraient "maîtres et possesseurs du monde"
et, avant lui, Francis Bacon (1561-1626) pensait que nous
pourrions "commander à la nature en lui obéissant".
La liberté suppose donc,
outre la prise de conscience de l'obstacle une
organisation rationnelle pour le contourner et
l'utiliser: cet obstacle est un moyen. En effet, si le
monde physique ignorait le déterminisme, s'il était le
lieu de perpétuels miracles, de perpétuels
changements, l'action humaine ne trouverait aucun point
d'appui: nous serions les jouets de ses caprices et
aucune liberté ne serait alors possible.
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