L'anthropologie fait constamment
face à la menace que représente la réduction de l'homme à la
simple chose. L'être humain est toujours plus que ce que nous
pouvons en dire:
il
est la condition même de ce pouvoir dire si bien
que nous ne pouvons le comparer à aucun des autres objets, ni le
comprendre à partir d'eux: ce qu'il est s'établit donc au-delà
de toute description. Pour le comprendre il nous faut recourir à
l'idée de "projet":
Être
homme c'est se projeter vers ce qui n'apparaît pas mais que nous
désirons connaître. La philosophie n'ignore pas le monde matériel,
quotidien; Au contraire elle réfléchit à partir de ce monde et
cette réflexion n'est ni un rêve, ni une évasion. Le philosophe
essaye, comme le dit M. Lacroix de "transformer un évènement
en expérience" c'est à dire donner un sens aux évènements,
les rapprocher pour les comprendre.
Mais il pose aussi des questions qui lui sont propres: en effet si
les sciences expliquent comment un phénomène se
produit, seule la philosophie pose le problème des valeurs, de la
liberté, de l'existence et de la mort.
L'homme réfléchit sur lui-même, sur le monde et la place qu'il
y occupe, sur son savoir, sur le sens de sa vie. Leibniz nous
rappelle la question primordiale: "pourquoi y a t-il quelque
chose plutôt que rien?" Mais sans aller si loin nous pouvons
nous arrêter sur la question posée par Musset: "qu'est-ce
que ce monde et qu'y venons-nous faire?"
Devant l'impossibilité de trouver des réponses à ces questions
que l'homme ne peut s'empêcher de se poser certains en
viendraient à conclure que la vie est absurde mais "n'est-il
pas absurde que tout soit absurde?"
(Mounier)
Cette attente de l'homme, toujours déçu par une raison qui
atteint ses limites, mais à laquelle il ne saurait renoncer, éveille
un espoir, un désir infini. Il espère contre toute espérance.
Peut-être alors que dans sa détresse, devant ce vide, cette
absence qu'il découvre au sein de son existence, il pressent une
plénitude. Seul l'infini peut venir combler ce vide infini. C'est
ce que Mounier traduit par ces mots: "Le néant devient révélation
négative de l'absolu."
Notre
désir est alimenté par cette "conscience de l'absence"
que seul l' Être peut combler. Mais il ne s'agit pas de tomber
ici dans la séduction mystique, de se perdre dans ce qu'il est
convenu d'appeler la "totalité". Car "être
signifierait alors pour l'homme, l'immobilité dans le terme
atteint, l'identité à une plénitude acquise qui ne nous
laisserait plus rien à désirer: ce n'est pas là notre
forme d'existence. L'homme se projette sans arrêt vers la totalité.
Ce terme (cette catégorie c'est à dire cette structure formelle)
présente une grande difficulté car la totalité ne peut être
pensée en elle-même puisque c'est une idée qui nie toute
limite: il n'y a pas de réalité autre car s'il y a une réalité
autre en dehors alors il n'y a plus de totalité. On ne peut donc
pas penser la totalité et elle est à concevoir comme un horizon
inaccessible.
Ainsi
nous comprenons que l'homme est menacé par deux dangers: désir
d'être d'une simple chose ou désir d'être Dieu
Sans cesse il doit s'arracher à ces deux menaces celle de vouloir
se réduire au "ceci" c'est à dire aux déterminations
qui l'affectent et celle de vouloir être Dieu. Réfléchissons:"
être" pour moi signifie paradoxalement n'être pas seulement
ceci ou cela. Être homme c'est donc être en mouvement, se
projeter vers la totalité tout en échappant à la seconde menace
qui serait de nourrir le projet d'être Dieu, de vouloir tendre à
s'identifier avec l'absolu. La Transcendance de l'homme
c'est à dire ce mouvement qui me distingue des choses, qui
m'arrache au repos dans l'immanence, c'est la reconnaissance de
l'ouverture infinie de mon être. Je ne peux pas réduire mon être
à ce que je suis maintenant. Ce sujet concret que je suis, affecté
de déterminations qui le particularisent, ne peut pas combler
toute la possibilité de sa nature de son essence; Si bien que je
pourrais dire:
L'homme se fait homme au jour le jour, il est avenir, il est
mouvement: "L'homme est un pont et non un but, une corde lancée
sur l'abîme" Nietzsche. En dehors de ce projet de ce
dynamisme il n'est pas d'existence humaine; Nous voyons donc
l'anthropologie buter contre une difficulté essentielle: son
objet d'étude: l'homme, n'est pas une réalité homogène. Il
s'oppose absolument à la chose, on ne peut donc le réduire au
statut de l'objet; il se donne comme la source et le fondement de
toutes les représentations; il est composé comme intériorité
et conscience mais ce sujet pur ne peut être déraciné de toute
situation, ce sujet tout spirituel ne peut être dépouillé de
tout un monde qui l'entoure; Il ne peut donc se poser ni se saisir
sans se référer à tout un monde de choses. Pour St Thomas,
Husserl, Sartre l'homme ne peut être cherché qu'au cœur de
l'altérité c'est à dire dans ce qui est autre que lui, différent,
et l'on voit alors l'homme donner un sens à ce
monde: il le rend humain. L'homme ne peut se manifester que dans
et par ce monde de choses. Au contraire pour Descartes l'homme est
présenté comme conscience et intériorité pure. Nous allons
analyser ces deux points de vue.
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