Qu'est-ce
exactement que cette recherche constante d'un sens et comment
fera-t-on émerger ce sens?
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C'est une volonté de saisir un au-delà du donné, c'est la
recherche d'un fondement à ce qui m'est donné: une pensée métaphysique
porte sur le Tout, c'est à dire qu'elle voudrait retrouver et
maintenir présent dans chacun des objets de notre attention ce
Tout. Pour que toute existence soit pleine de sens, il faudrait
pouvoir tout unifier, cela depuis le début jusqu'à la fin:
autrement dit il faudrait pouvoir retrouver l'originaire dans le
simple donné... D'où est-ce que je viens?
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Nous voudrions en fait trouver ce qui résiste à la construction
qu'opère notre esprit, nous voudrions aller au-delà de tout ce
que l'esprit peut construire, trouver l'au-delà de nos pensées,
leur condition de possibilité, ce qui est à l'origine de nous-mêmes
et du monde: c'est vouloir trouver le Tout Autre que nous. Si bien
que le savoir conduit nécessairement à l'incertitude de nos
limites alors que l'expérience recherchait une appropriation.
Que
faire alors?
Kierkegaard
pense qu'il nous faut "entrer dans la vérité",
exister intérieurement à la vérité, sans pour autant oublier
notre liberté car la métaphysique n'est pas un spectacle mais un
acte.
Entrer
dans la vérité suppose que notre jugement ne soit pas étroit,
c'est à dire qu'il ne veuille pas enfermer les choses dans ses
limites, qu'il ne veuille pas en prendre possession, les dominer.
Pour entrer dans la vérité, il faut entreprendre une expérience
beaucoup plus riche, il faut penser c'est à dire établir en soi
une ouverture au monde de telle sorte que nous "laissions les
choses être en nous". Il faut donc les accueillir, être
attentif à ce monde "plus vieux que nos pensées"
disait Merleau-Ponty et vouloir leur retrouver un sens pour
assumer des valeurs qui ne sont pas notre oeuvre puisque c'est par
elles que nous sommes nous aussi. Ces valeurs sont fondatrices du
monde et de nous- mêmes. La métaphysique est une réflexion sur
le sens de la nature qui nous renvoie à la liberté de l'esprit:
un effort pour restituer au donné tout ce qui lui manque pour que
sa signification apparaisse.
Nous
comprenons alors avec Alquié que "la condition humaine
c'est l'expérience": qui dit expérience dit activité
de l'esprit. Mais il ne s'agit pas d'une expérience qui serait
passive, qui ne serait rien d'autre que la réduction à une
fausse subjectivité qui se complairait dans le donné, dans l'immédiat.
Il s'agit d'une expérience qui révèle le sujet à lui même car
la vie de l'esprit est mouvement vers l'être sans pour autant
pouvoir le saisir: "l'être est aussi évident
qu'inaccessible" Alquié. C'est par rapport à lui que
nous situons tout ce qui est donné et que nous nous situons
nous-mêmes. Cette expérience qui ne peut être que personnelle,
au cours de laquelle j'essaie de dominer ce qu'il y a de passager,
de contingent, pour retrouver le sens de l'universel, la valeur
fondatrice; cette expérience personnelle est l'avènement même
de l'esprit face à l'absolu.
L'expérience
métaphysique c'est alors l'expérience de ce monde intérieur non
pas séparé du monde extérieur, mais un monde où tout est
redevenu intérieur, qui nous intériorise nous mêmes toujours
davantage: le "connais-toi toi-même" de
Socrate est bien un idéal à poursuivre, à vivre inlassablement.
Nous
ne sommes pas des choses parmi des choses mais des vivants libres,
libres puisque à la recherche de ce qu'on peut appeler l'absolu,
la totalité, Dieu, l'être. Être homme c'est donc être libre
c'est à dire effectuer un mouvement, celui d'aller vers
l'inaccessible et pourtant vers ce qui nous fait être. Être
homme c'est Dieu, c'est chercher l'absolu sans pour autant nous
perdre en lui mais en nous situant face à lui dans notre
condition d'homme qui unit contemplation et action: action de dire
ce que notre esprit a pu accueillir, prendre et comprendre. Nous
ne pouvons dire, en d'autres termes, "offrir" que ce qui
nous a été donné. C'est par cette offrande que nous réalisons
notre nature d'homme. Sans ce travail humain nous ne
sommes pas.
Qu'est-ce
que l'homme sinon ce vivant qui est appelé à "être"
et qui a à consentir à répondre à cet appel en retrouvant et
en disant le vrai: pour dire ce qui est il faut le connaître et
on ne peut le connaître qu'en se libérant des "faux
semblants"...
C'est
pourquoi notre liberté est une conquête, elle est une
"oeuvre à faire" et nous la faisons car nous en sommes
capables de nature, puisque nous sommes essentiellement libres,
essentiellement désir, désir de trouver ou plutôt de retrouver
ce qui nous habite: la vérité et la vie.
"Tu
ne me chercherais pas si tu ne m'avais déjà trouvé "
Pascal.
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