Nous
avons vu dans les analyses précédentes que l'esprit ne saurait
être passif "Il n'est pas comme la plage battue par les
flots" disait Lagneau, il n'est pas témoin des événements,
il est créateur de ses rapports au monde ce qui l'amène à s'éveiller
à lui-même, c'est ainsi que l'on peut dire que la raison
scientifique est spiritualité, puisque l'esprit s'affirme lui même
dans sa relation avec l'objet dont il veut avoir une connaissance
vraie.
La
démarche de la science manifeste la vie de l'esprit: elle nous
montre que la raison est initiative, "puissance orientée,
fécondité projective" comme l'explique Brunschvicg car
elle est orientée vers l'avenir. Nous allons voir ici s'éclairer
le rapport vérité, liberté. "La liberté dit
toujours Brunschvicg ce n'est pas quelque chose qui est donné
mais une œuvre qui est à faire".
La
liberté n'est pas un état qui caractériserait la nature humaine
mais c'est le résultat d'une libération, d'une conquête. Libération
de quoi? Conquête sur quoi? Tout simplement du scandale de
l'erreur car il paraît scandaleux que notre esprit qui possède un
sens droit comme l'appelle Pascal, c'est à dire une
rectitude, notre esprit qui éprouve une inclination vers la vérité,
notre esprit ... se trompe.
Comment
peut-il se faire que, compte tenu de son orientation, de sa sensibilité
au vrai, il puisse faire un faux pas? L'erreur est intérieure
à l'acte même de juger: l'esprit ignore et malgré cette absence
de connaissance il porte un jugement, il affirme le vrai quand il
ne le connaît pas. Comment l'esprit peut-il se penser en accord
avec l'être quand il ne l'est pas? Faut-il alors penser le vrai
et le faux comme une double orientation de l'esprit ce qui alors
remettrait en question notre approche de la vérité. Non! car la
liberté justement est bien une conquête, une libération
laborieuse, un affranchissement des causes de l'erreur: il nous
faudra lutter contre nos opinions, contre la confusion résultant
d'une idée partielle, donc inadéquate (Spinoza), contre
la subjectivité, contre l'oubli du caractère temporel de la vérité
(la vérité n'est pas obtenue du premier coup).
Bachelard
nous mettait en garde, il n'y a pas de vérité première,
mais des erreurs premières. L'esprit est si bien orienté
vers le vrai que dans sa hâte de dévoiler la vérité à force
de reconstruction (qui devraient être patientes et rigoureuses)
il va trop vite et il se trompe. L'erreur ne semble plus être
alors qu'un paradoxe mais une déviation qui témoigne de la
relation de l'esprit au vrai. Nous comprenons alors la méfiance
du scientifique vis à vis du donné brut, sa mise en doute
radicale (cf. Descartes: Discours de la méthode: le doute est une
méthode sceptique, un moyen, un outil pour chercher la vérité).
Ce
doute ne sera pas un état provisoire chez le scientifique, il
sera l'attribut permanent de sa pensée, jusqu'à engendrer
une anxiété.
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et raison
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