L'existentialisme
est une réflexion sur l'existence humaine qui pour Sartre est
avant tout liberté: en effet, l'existence humaine diffère
radicalement de celle des objets fabriqués (on s'en doutait). A
Paris, au cours d'une de ses conférences intitulée:
l'existentialisme est un humanisme, il prend l'exemple de la
carafe d'eau posée sur sa table: avant d'exister, cette carafe a
été pensée, dessinée: elle a été conçue pour contenir de
l'eau, elle a été construite selon un modèle et pour un usage,
elle a d'abord été une idée, autrement dit elle a été une
essence avant d'être une existence. Mais ajoute Sartre, pour moi,
homme j'existe d'abord avant d'être ceci ou cela et c'est moi qui
décide d'être ceci ou cela.
Pour
l'homme, "l'existence précède l'essence",
car une personnalité n'est pas construite sur un modèle dessiné
d'avance et pour un but précis car c'est moi qui choisit de
m'engager dans telle entreprise. Ce n'est pas que Sartre nie les
conditions contraignantes de l'existence humaine, mais il répond
à Spinoza qui affirmait que l'homme est déterminé par ce qui
l'entoure, par une dialectique:
-D'une
part, il admet comme Spinoza " que tout homme est - en -
situation". Il a un corps, un passé, des obstacles devant
lui.
-D'autre
part, c'est l'homme qui librement confère à la situation son
sens. Par exemple une situation paraît intolérable pour des gens
qui se sentent opprimés et qui se révoltent: cette situation
n'est peut-être pas intolérable en soi, dit-il, mais elle le
devient parce que l'homme lui a conféré ce sens par son projet
de révolte alors que un autre homme pourrait, avec un autre
projet, considérer cette même situation comme
"sanctifiante". En projetant mes intentions sur ma
situation actuelle "c'est moi qui librement
transforme celle-ci en moyens d'action". Plus
l'homme vit dans une situation tragique et difficile, plus il éprouve
le besoin de "'s'en sortir", et il cherche les moyens de
le faire.
Ce
sont donc mes décisions qui donnent mes sens aux situations.
Lorsque
Sartre disait: "le monde est le miroir de ma
liberté" il signifiait que le monde
m'obligeait à réagir, à me dépasser. C'est ce dépassement
d'une situation présente, contraignante par un projet à venir
que Sartre nomme transcendance. C'est parce que, comme le disait
Pascal, nous sommes embarqués que les choix sont inévitables et
l'on comprend que Sartre dise: "nous sommes condamnés à être
libres". Choisir de ne pas choisir c'est encore faire un
choix. Il faut ajouter que le choix est de tous les instants c'est
à dire que nos libres décisions d'hier n'engagent pas celles de
demain: à tous moments, je peux si je veux changer ma vie. Tant
que j'existe je conserve la ressource d'orienter mon avenir et par
là je "transfigure et je sauve mon passé". Ma liberté
ne trouve sa limite qu'avec la mort. Dès que j'ai cessé
d'exister, ma vie est transformée en destin, "elle
n'est qu'une histoire toute faite pour les regards des vivants, être
mort c'est être en proie aux vivants".
Les
personnages dans "HUIS CLOS" sont morts et en enfer. Ils
ne peuvent plus rien changer donc au fait qu'ils aient été lâches
ou méchants. Or "comme nous sommes vivants, nous
confie Sartre en 1965, j'ai voulu montrer par l'absurde
l'importance chez nous de la liberté, c'est à dire l'importance
de changer les actes par d'autres actes. Quel que soit le cercle
d'enfer dans lequel nous vivons, je pense que nous sommes libres
de le briser. Et si les gens ne le brisent pas c'est encore
librement qu'ils y restent. De sorte qu'ils se mettent librement
en enfer" Sartre, Théâtre de situation page
238 - 239.
Si je veux éviter
cela, si je veux tout simplement devenir homme, il me faut agir
mais que dois-je faire? Que puis-je savoir? Mon esprit me pousse
à connaître et Sartre dit bien "connaître
c'est s'éclater vers", s'élancer vers le
monde pour lui donner un sens, pour le comprendre: non seulement
l'homme n'est que "projet",
mais au gré de ses découvertes et de sa volonté il change son
projet, il se dépasse sans cesse lui même et les choses qui lui
sont proposées.
Nous venons de comprendre que le
rationalisme moderne suppose une libération progressive de
l'homme grâce à une connaissance rationnelle des "lois
de la nature", sans cesse plus précise et plus complète.
Il va même jusqu'à penser que cette connaissance est la seule
possibilité d'un épanouissement de l'homme. N'est-ce pas réduire
l'homme à n'être qu'un opérateur intelligent et habile, un opérateur
qui se contenterait de mesurer le donné, de le penser? "Comprendre
c'est être capable de refaire". La science nous conduit
à une connaissance précise de la réalité objective et il est
vrai que, comme l'écrivait Spinoza "la connaissance
vraie libère". Toutefois la science ne peut méconnaître
le sujet puisqu'elle marque son avènement: l'objet scientifique
est ce qui est constitué dans son rapport avec une pensée, ce
qui est fait. La vérité s'instaure dans cette relation du sujet
avec l'objet: elle n'est pas déjà constituée dans les choses
car les choses ne sont vraies ni fausses, elles sont. c'est ce que
nous disons d'elles qui est vrai ou faux. Nous avons aussi le
pouvoir, une fois que nous les connaissons bien, de les
transformer de les utiliser, de fabriquer des objets en inventant
et décidant. Sartre va se servir de ce monde artificiel issu de
l'esprit humain pour nous faire comprendre, à sa façon, le rôle
et la place de la liberté dans l'existence humaine: sa réflexion
porte le nom d'EXISTENTIALISME.