Ainsi
nous allons du "dehors au dedans".
mais cette intériorité n'est pas celle dans laquelle on se réfugie.
Il y a certes une attention aux choses mais surtout à l'existence
dans laquelle ces choses sont manifestées. Ce qui est objectif
devient intérieur et cette intériorité est créatrice de nous-mêmes.
Nous nous rendons présents au monde et nous cherchons à le connaître
d'une façon objective, scientifique: la science apparaîtra alors
non pas seulement comme la recherche de la façon dont la nature
est constituée, mais elle nous apprendra aussi comment est fait
l'esprit humain.
L'expérience est:
Tout d'abord un
moyen, un instrument de recherche, un dialogue de l'esprit avec la
nature.
Ensuite une construction de l'objectivité scientifique ce qui
exige un long travail rigoureux au cours duquel il faudra séparer
le subjectif de l'objectif, ce à quoi nous ne pourrons peut-être
jamais aboutir: comment délier l'un de l'autre sans refuser
l'ambiguïté que manifeste l'expérience entre le donné et le
construit
L'expérience,
en effet c'est ce qui est donné, qui me résiste, ce que je n'ai
pas pu prévoir: mais l'esprit met de lui-même dans les choses:
nous avons vu quelle était la démarche de la pensée dans la
connaissance, elle va vers le donné, le saisit, réfléchit et
lutte contre l'erreur en refusant ce qui est trop immédiat,
confus, subjectif, relatif, hâtif. La vérité objective sera
alors une victoire sur le faux, sur l'erreur, ce qui fait dire à
Bachelard: "il n'y a pas de vérité première, il n'y a
que des erreurs premières"
L'expérience
nous révélera donc peu à peu l'infinie richesse de la réalité
grâce à un travail de l'esprit sur ce qui lui est donné, sur ce
qui est objectif. L'objectif est bien ce qui s'oppose à l'esprit
mais ce qui a rapport avec lui: le réel c'est ce qui donné
mais aussi construit parce qu'on le pense; Aussi l'expérience
est constituante de notre être en même temps qu'elle est révélatrice
du réel. Il ne faudra pas oublier que la connaissance vraie est
donc un résultat très partiel et que notre effort, notre
discours n'énoncera jamais la totalité du réel car les
relations à l'intérieur d'un objet sont infinie comme sont
infinis aussi les rapports que cet objet entretient avec le monde
dans lequel il se situe. Si bien qu'on ne possède pas la
vérité, on la recherche: c'est une démarche grâce à
laquelle le sujet se saisit lui-même dans son activité et
retrouve sa vraie nature.
L'expérience est
donc source de progrès intérieur: nous dépassons toutes les déterminations
(ce qui fait que je suis ce que je suis maintenant) qui bornent
notre être et nous devons ce progrès intérieur aux leçons de
l'expérience car ce que nous éprouvons enrichit la pensée
L'expérience
nous délivre de l'étroitesse de la singularité car: car:
lorsque nous allons vers le monde, lorsque pour reprendre
l'expression de Sartre "nous nous éclatons comme conscience
dans le monde", le fait de nous rendre accueillants aux
choses nous donne en même temps accès à nous mêmes. Quand nous
pensons le vrai nous cherchons le rapport que la vérité a avec
nous: il ne s'agit plus d'une vérité subjective qui nous ferait
dire "à chacun sa vérité" mais d'une vérité
universelle, d'une vérité valeur; Biran écrivait:"Quand
nous creusons dans la vérité pour la pénétrer, elle creuse
aussi en nous pour prendre possession de nos âmes".
Comment peut-on
avoir accès à l'universel? En se libérant de l'étroitesse de
la singularité, car notre vraie nature c'est de sortir de nous-mêmes:
"qu'est-ce que la personne?" demande Lachelier,
"c'est en sortir" répond-il: sortir de soi pour connaître
le vrai c'est éprouver l'esprit même dans son universalité, sa
spontanéité, son élan vers la valeur qui le guide puisque nous
possédons une rectitude intérieure qui nous rend capable d'éclairer
l'expérience immédiate. Lorsque Gabriel Marcel écrit: "il
faut comprendre que l'universalité se situe dans le domaine de la
profondeur non de l'extension", il nous fait mieux saisir que
l'universalité de la vérité que nous recherchons ne se
conquiert pas grâce à une prospection, à une
juxtaposition des aspects variés de la réalité mais grâce à
une réflexion: ce n'est pas en accumulant des
connaissances sur l'homme que nous comprendrons ce qu'est l'homme
mais en éprouvant ce qui fait sa présence au monde et sa présence
à lui-même: cette présence à soi l'esprit l'obtient dans son
rapport à la vérité, par l'acte même d'affirmation du
vrai.
Tout le sens de
la vie d'un homme n'est-il pas de reconnaître et de
"dire" ce qu'il cherche et qu'il retrouve: le Vrai, le
Beau, le Bien?
Mais
où chercher ces valeurs?
Hors de nous, en
nous? Pourrions-nous les retrouver hors de nous si elles n'étaient
pas déjà en nous? Le progrès ne va pas de bas en haut comme on
pourrait le croire mais bien de "haut en bas": c'est ce
que nous explique Kant dans le Traité de Pédagogie.
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