Descartes
(1596, 1650) nous permet de discerner cette forme d'être
originale qu'est l'homme, "étranger dans son propre
pays" comme l'affirmait Malebranche. Pourquoi? C'est que par
la conscience, terme qui vient du latin cum scientia qui
signifie "accompagné de savoir", l'homme cesse de faire
partie intégrante du monde: le monde cesse d'être le lieu de
l'homme alors qu'il enveloppe son existence.
Par la conscience nous saisissons la
transcendance de l'homme, l'acte de dépasser ce monde puisque
l'homme s'interroge sur ce monde: il se distingue donc de lui en
marquant un recul, une distance. Être conscient, s'est en effet
agir, sentir ou penser et savoir qu'on agit,
qu'on sent et qu'on pense. Pour se rendre compte, pour se représenter
les choses il faut instaurer une distance entre soi et le reste.
Si l'animal souffre, désire, perçoit, se souvient... il
ne sait pas qu'il souffre, désire...
"Savoir,
c'est savoir qu'on sait"... Alain
Le
fait d'être conscient constitue donc pour l'homme un évènement
décisif qui le situe dans le monde et lui permet une sorte de maîtrise
du monde. La conscience qui est l'aptitude de l'homme à penser et
à agir, sépare l'homme du monde puisque, il n'est plus
simplement dans le monde, choses parmi les choses, vivant parmi
les vivants, il est au contraire devant le monde,
spectateur, et, dans ce vis à vis le monde se constitue pour lui
comme monde à connaître, à comprendre, à juger ou à
transformer. Il y a donc rupture avec le monde immédiat. Ce
pouvoir qu'est la conscience "élève l'homme infiniment
au-dessus de tous les autres vivants sur la terre. Par là il est
une personne" Kant.
La
conscience est ce par quoi l'homme est homme: elle
lui permet de s'étonner, de s'interroger sur lui et sur le monde,
sur Dieu. Elle est ce qui permet d'atteindre, au milieu de toutes
les illusions qui nous guettent, une certitude.
Or l'unique certitude qui résiste au doute est celle que nous
livre Descartes dans le Discours de la Méthode
(1637): "Cogito ergo sum". (je pense donc je suis). Le
but de Descartes est de rechercher la vérité dans les sciences.
Le moyen sera le doute. Il s'agira d'une méthode sceptique pour
parvenir à une certitude. Chercher à voir "s'il ne
resterait pas quelque en ma créance qui fut entièrement
indubitable". Il fait donc porter son doute sur tout ce qui
l'entoure puisque nos sens "nous trompent quelquefois";
nos représentations données par nos sens et nos raisonnements ne
sont pas sûres.
Donc "Je me trompe, alors je doute". Vient ensuite le moment
crucial de sa philosophie et son doute va prendre fin.
Descartes doute parce qu'il se trompe au sujet des objets qui
l'entourent mais il ne peut pas douter qu'il est en train
de douter, qu'il pense. Le fait de penser qu'il doute
prouve son existence.
Cette
affirmation est le premier principe de sa philosophie, sa première
certitude, le fondement inébranlable à partir
de quoi il construira sa philosophie et sa physique. En doutant il
pense et il éprouve son existence: cette preuve n'est pas le
fruit d'une déduction logique comme pourrait le faire croire la
préposition "donc". Il s'agit d'une intuition
immédiate: "Je suis".
Descartes continue alors: "puis examinant avec attention ce
que j'étais..." En effet, dire que j'existe ne dit pas ce
que je suis! Pour Descartes "Je suis une chose qui
pense" mon essence, ma nature n'est que de penser.
Descartes définit l'homme par la conscience; c'est alors qu'il
introduit le dualisme entre l'âme et le corps et la redoutable
question de leur union: il ajoute en
effet:"...Je connus de là que j'étais une substance dont
toute l'essence ou la nature n'est que de penser, et qui, pour être,
n'a besoin d'aucun lieu ni ne dépend d'aucune chose matérielle;
En sorte que ce moi, c'est à dire l'âme par laquelle je suis ce
que je suis est entièrement distincte du corps et même qu'elle
est plus aisée à connaître que lui et qu'encore qu'il ne fut
point, elle ne cesserait point d'être tout ce qu'elle est".
Comprenons bien son argument:
Il est inutile de prouver l'existence du corps pour penser
(puisque je pense naturellement) alors que si je cesse de penser,
même si tout l'univers matériel existe (mon corps et le monde)
je ne suis plus rien, l'âme est donc distincte du corps
(dualisme) = on peut connaître la pensée sans le corps. Elle est
le premier principe de sa philosophie car c'est à partir de ce
principe que l'on pourra connaître tout le reste (le corps et le
monde matériel).
La
certitude porte bien sur l'existence mais cette certitude paraîtra
bien pauvre à d'autres philosophes tels que Kant ou Sartre: pour
eux la conscience de soi n'est pas, ne peut pas être connaissance
de soi: le sujet que je suis est un pur pouvoir de synthèse, il
unifie mes sensations. Sans cette condition de possibilité, cette
faculté de synthèse qui me permet d'unifier mes représentations
du monde, le monde serait un pur chaos; le sujet ne peut prendre
conscience du monde et de lui même qu'à travers son activité.
Nous allons être amené à distinguer:
- la conscience immédiate ou directe qui accompagne les actes du
sujets et,
- la conscience réfléchie: le sujet est conscient d'avoir
conscience, c'est à dire qu'il se saisit lui même comme
conscience et qu'il prend conscience de lui même en tant que
sujet conscient.
Le
point de vue de Sartre va
nous montrer que pour arriver à cette conscience de soi le sujet
devra faire un détour par le monde. Ce ne sera
qu'en prenant conscience de ses actes que le "moi"
pourra se ressaisir, être "réfléchi". Autrement dit
toute conscience est relation à autre chose qu'elle-même.
Husserl
nous avait fait comprendre
que "toute conscience est conscience de quelque chose."
Elle a besoin de se distinguer du monde des objets pour se poser
et exister face à lui. La conscience est un acte, un mouvement
vers le monde, une intentionnalité. Exister c'est connaître le
monde, se projeter vers un ailleurs, vers un avenir et lui donner
un sens.
Pour
Sartre, ce
n'est donc pas dans la solitude que l'on prend conscience de soi
mais au coeur du monde: la conscience ne pourra donc plus être
pensée comme pure transparence à soi, elle rencontrera l'opacité
du corps.
Pourtant
Descartes affirme
dans la sixième Méditations (1641): "La nature
m'enseigne par ces sentiments de douleurs de faim, de soif...,que
je ne suis pas seulement logé dans mon corps ainsi qu'un pilote
en son navire, mais, outre cela, que je lui suis conjoint très étroitement
et tellement confondu et mêlé que je compose comme un
seul tout avec lui." Deux siècles plus tard John
Henry Newman écrivait: "Nous allons à la vérité avec
notre personne toute entière... la conscience que j'existe est
indirecte: je sens donc je suis." L'homme n'est pas un être
tout intérieur. Mon existence est un fait externe à la
conscience, mais j'ai la faculté de partir de ce dont j'ai l'expérience
pour aller vers ce dont je n'ai pas l'expérience: l'homme est
"passage vers". Par son corps il fait partie du monde
des objets mais comme sujet il est capable de dépasser le donné.
l'esprit pour penser le monde doit se faire nature, s'incarner.
Dans
ces conditions, ne sommes-nous pas guetté par le délire? Pouvons
nous accéder à une connaissance vraie, porter un jugement qui
soit en conformité avec la réalité? Voyons-nous le monde tel
qu'il est ou comme nous voudrions qu'il fût? Notre conscience règne-t-elle
ou gouverne-t-elle?
Qu'est-ce
que la vérité? page
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