L’imagination,
liant le « croire » et
l’ « effroi » au destin de l’image...
Cette incertaine mais rebelle faculté, l’imagination, liant le
« croire » et
l’ « effroi » au destin de l’image, nous introduit
à la série noire de toutes les nuits de l’esprit, depuis les
ancestrales pratiques cannibales magiques, jusqu’aux grands fours crématoires
nazis voués à la « solution finale ». Ce que Anna Arendt
nomme la « banalité du mal » souligne l’ordinaire non
critique, non philosophique dans le fond, d’une relation de croyance
à la philosophie elle-même, à la religion, aux athéismes comme
retrait d’une question oubliée celle de l’énigme de l’Etre,
question de la différence entre l’Etre et l’étant. Oubli du matin
grec de la philosophie selon Heidegger, ce matin qui est aussi la clairière
proche de la pacifique ferveur religieuse. Lorsqu’un sujet
n’interroge plus la schize par laquelle s’efface tout impératif
symbolique (transcendance de l’invisible, du Visage, de l ‘Autre…)
alors il chute dans l’identification sans écart à soi, qui
définit l’ordinaire du dévot ou le funeste destin de
Narcisse.
Eichmann
par exemple s’est fait le dévot d’une idéologie qui a tue la
question, toute interrogation par la réponse que l’Autre, le Führer avait déjà… Derrière tout fondamentalisme notamment celui de
« la langue » évoqué par Lacan, nous avons la surprenante
problématique du toxicomane lequel est un « croyant » qui
s’ignore ou qui cherche en vain à se convertir à ce qu’une
pratique religieuse peut receler d’authentique. En terme,
psychanalytique, les trois mécanismes de bases de l’ « in-croyance »
sont connus : le refoulement (névrose), le déni (pervers), la
forclusion (psychose). Chacun gravitant autour d’un signifiant clef de
voûte du « bon » fonctionnement psychique : le
signifiant du Nom-du-Père. La version idéologique du sinthome
(Lacan) vérifie ce qui est au centre de la drogue : une quête
d’Objet d’autant plus souverain, absolu qu’il n’y a abduction,
oubli de la recherche de l’Autre. Panne de l’invention de l’Autre
ou du réel. Fermeture de la parole qui s’enroule sur le principe
d’un commandement ne laissant aucune place à l’Incrée qui vient,
au doute, cet écart de soi à soi,
pourtant fondateur de toute prise du sujet dans la conscience
authentiquement réflexive.
Ce
passage à l’acte de l’athéisme conquérant et fanatique n’est
pas sans poser quelques apories, sur le ralliement nihiliste du trop
fameux cri annonciateur du désenchantement européen : « Dieu
est mort ». D’autant que Freud marque comme un « progrès
décisif » le passage du polythéisme au monothéisme : fin
des sacrifices humains, avènement de la lettre,et sous la Descente de
l’Ecrit, la montée du Verbe, de la parole, de l’écoute de
l’Autre! Il n’est pas si sûr que la décomposition historique du
monothéisme, notamment en ses actuelles versions fondamentalistes, américaine,
(«méthodisme » : secte protestante), israélienne (folle
synthèse entre Torah et sionisme), islamiste (confusion entre Texte
coranique et Manifeste politique) produise des signes ou des symptômes
du seul fait que la révolution laïque doive réfléchir à une tâche
fondamentale. La mémoire généalogique de son archive déconstruit
l’immense intelligence et sagesse collective qui, à partir de
l’essence génératrice de l’envoi grec de la révolution
philosophique (la découverte de l’Etre, la pratique du Logos comme
visée de vérité), visée démocratique d’un « rechercher
ensemble » la vérité…), se redistribue autour du monothéisme,
en ses trois « feuillets » progressifs et noués autour de
l’Un, en double position permutable : transcendante de l’Etre
(tétragramme ontologique sacré avec quatre consonnes:
YHWH) et transcendantale de l’Autre, de la Loi, le Père (Moïse),
puis le fils (Jésus), puis les Frères (Muhamad) qui en trois scansions
irréductibles posent les impératifs symboliques, les interdits, les
limites.
- Ce
sont les hiatus, les oublis, les refoulements, les dénis, ou les
forclusions (logique de la psychose et des sectes) du « fil rouge
de la filiation interne des trois monothéisme que vient faire retour en
interrogeant le conflit à mort de cet autre fondamentalisme de la
croyance (athéisme régressif vers le paganisme intégral : le
« sang », et le « sol ») que fut le nazisme,
entre juifs et chrétiens soit le choc non pas entre civilisations mais
à l’intérieur dogmatique de l’amas de ses écrits religieux, entre
deux figures messianiques mettant en scène deux fondamentalismes
rituels contradictoires : la circoncision ou le baptême.
-
Notons
que le stalinisme, autre forme de totalitarisme qui fit école
jusqu’en terre arabe coupée de la riche tradition musulmane (cf. la
folle dérive sanguinaire d’un Saddam Hussein) insensibilisation sans
le savoir des pires mécanismes idéologiques de la religion : le
dogme de l’infaillibilité du Parti, le Parti érigé en représentant
fétiche du « Peuple tout entier », la promulgation
d’un athéisme d’Etat obligatoire…).
Legendre
a resserré, au plus près de la logique du rite, la catastrophe
conflictuelle, délirante que fut le crime généalogique du nazisme.
Issu d’une opposition historique à mort entre la circoncision,
version juive somatique de l’entrée du sujet dans la Loi avec la
dialectique du désir et le baptême, version de la métaphore
paternelle au cœur de génie du christianisme latin puisqu’il n’y
de « circoncision » que du « cœur » d’une opération
sacramentelle, symbolique. (St Paul). La version spirituelle de la même
entrée pour le sujet dans la dialectique de Loi et du Désir
s’effectuant par le primat du symbolique, de l’esprit :
« le Verbe se fait Chair ».
Le Christ, St Jean, St Paul sont les pivots fondateurs du statut
universel du christianisme, nœud Imaginaire, au Nom du Père et du
Fils, de la géniale articulation au Réel d’Abraham, principe
paternel autant qu’intercesseur réel de la Loi, puis de la foi. Dans
la Genèse, apparaît le Père
d’une « multitude de nations » (16:
3-4)
celle
de la génération Mosaïque (Isaac), christique (Jésus), (Ismaël)
musulmane -et non simplement arabo-musulmane.
Chateaubriand
et Flaubert, eux-mêmes, n’ont-ils pas stupidement enfermé l’Islam
dans la simple communauté arabe où le Coran fut écrit? La tentation
d’interpréter le Coran comme un plagiat du judaïsme démontre une
incapacité certaine, une méprise certaine de la dogmaticité interne
du monothéisme. Ainsi, selon un schème de lecture parfaitement isolé
par Deleuze à bon droit à propos de la doctrine platonicienne de la vérité,
certains projettent sur les rapports entre Coran, Évangiles, Torah, le
schéma du simulacre, de la copie, de l’original.
En
contrepoint antiphilosophique d’une doctrine de l’Etre et de la vérité,
Lacan a proposé dans son enseignement dès 1974-1975, une théorie
« écrite » de l’ « impensable » qu’est
le Réel. L’application de la théorie des nœuds borroméens sur ce
que Freud nommait la « psychologie collective » est
d’autant plus opérante que le destin qui s’y joue ne concerne rien
de moins que la réalité généalogique, la « structure » même
pour paraphraser J. A. Miller mais au sens généalogique, selon la
logique antiphilosophique de l’oxymore, la vie, la mort, les langes,
le linceul, le double vrai trou de la Loi vide et de la Jouissance
impossible, celui du Sexe et de la Mort, l’un et l’autre ordonnés
selon la logique inconsciente de l’acte manqué. Pascal a raison, le
point authentique de la conversion, c’est la structure du « pari »,
autre mesure de l’incommensurable liberté subjective insondable et
positive, celle la «décision de l’être ». « Tenez bien
la corde. Une corde en effet, quand à l’autre bout c’est noué, on
peut s’y tenir. Ça a faire avec le réel ».
La corde est aussi l’une des plus sublime métaphore mahométane du
discours amoureux.
Vers la
page 10 La
troisième révolution monothéiste
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