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La croyance prise à la lettre 
Par Jean Louis Blaquier, enseignant en philosophie, Doctorant en psychanalyse. 

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L’imagination, liant le « croire »  et l’ « effroi » au destin de l’image...

       Cette incertaine mais rebelle faculté, l’imagination, liant le « croire »  et l’ « effroi » au destin de l’image, nous introduit à la série noire de toutes les nuits de l’esprit, depuis les ancestrales pratiques cannibales magiques, jusqu’aux grands fours crématoires nazis voués à la « solution finale ». Ce que Anna Arendt nomme la « banalité du mal » souligne l’ordinaire non critique, non philosophique dans le fond, d’une relation de croyance à la philosophie elle-même, à la religion, aux athéismes comme retrait d’une question oubliée celle de l’énigme de l’Etre, question de la différence entre l’Etre et l’étant. Oubli du matin grec de la philosophie selon Heidegger, ce matin qui est aussi la clairière proche de la pacifique ferveur religieuse. Lorsqu’un sujet n’interroge plus la schize par laquelle s’efface tout impératif symbolique (transcendance de l’invisible, du Visage, de l ‘Autre…) alors il chute dans l’identification sans écart à soi, qui  définit l’ordinaire du dévot ou le funeste destin de Narcisse.

Eichmann par exemple s’est fait le dévot d’une idéologie qui a tue la question, toute interrogation par la réponse que l’Autre, le Führer avait déjà… Derrière tout fondamentalisme notamment celui de « la langue » évoqué par Lacan, nous avons la surprenante problématique du toxicomane lequel est un « croyant » qui s’ignore ou qui cherche en vain à se convertir à ce qu’une pratique religieuse peut receler d’authentique. En terme, psychanalytique, les trois mécanismes de bases de l’ « in-croyance » sont connus : le refoulement (névrose), le déni (pervers), la forclusion (psychose). Chacun gravitant autour d’un signifiant clef de voûte du « bon » fonctionnement psychique : le signifiant du Nom-du-Père. La version idéologique du sinthome (Lacan) vérifie ce qui est au centre de la drogue : une quête d’Objet d’autant plus souverain, absolu qu’il n’y a abduction, oubli de la recherche de l’Autre. Panne de l’invention de l’Autre ou du réel. Fermeture de la parole qui s’enroule sur le principe d’un commandement ne laissant aucune place à l’Incrée qui vient, au doute, cet écart de soi à soi,  pourtant fondateur de toute prise du sujet dans la conscience authentiquement réflexive.  

Ce passage à l’acte de l’athéisme conquérant et fanatique n’est pas sans poser quelques apories, sur le ralliement nihiliste du trop fameux cri annonciateur du désenchantement européen : « Dieu est mort ». D’autant que Freud marque comme un « progrès décisif » le passage du polythéisme au monothéisme : fin des sacrifices humains, avènement de la lettre,et sous la Descente de l’Ecrit, la montée du Verbe, de la parole, de l’écoute de l’Autre! Il n’est pas si sûr que la décomposition historique du monothéisme, notamment en ses actuelles versions fondamentalistes, américaine, («méthodisme » : secte protestante), israélienne (folle synthèse entre Torah et sionisme), islamiste (confusion entre Texte coranique et Manifeste politique) produise des signes ou des symptômes du seul fait que la révolution laïque doive réfléchir à une tâche fondamentale. La mémoire généalogique de son archive déconstruit l’immense intelligence et sagesse collective qui, à partir de l’essence génératrice de l’envoi grec de la révolution philosophique (la découverte de l’Etre, la pratique du Logos comme visée de vérité), visée démocratique d’un « rechercher ensemble » la vérité…), se redistribue autour du monothéisme, en ses trois « feuillets » progressifs et noués autour de l’Un, en double position permutable : transcendante de l’Etre (tétragramme ontologique sacré avec quatre consonnes:  YHWH) et transcendantale de l’Autre, de la Loi, le Père (Moïse), puis le fils (Jésus), puis les Frères (Muhamad) qui en trois scansions irréductibles posent les impératifs symboliques, les interdits, les limites.

Ce sont les hiatus, les oublis, les refoulements, les dénis, ou les forclusions (logique de la psychose et des sectes) du « fil rouge de la filiation interne des trois monothéisme que vient faire retour en interrogeant le conflit à mort de cet autre fondamentalisme de la croyance (athéisme régressif vers le paganisme intégral : le « sang », et le « sol ») que fut le nazisme, entre juifs et chrétiens soit le choc non pas entre civilisations mais à l’intérieur dogmatique de l’amas de ses écrits religieux, entre deux figures messianiques mettant en scène deux fondamentalismes rituels contradictoires : la circoncision ou le baptême.

- Notons que le stalinisme, autre forme de totalitarisme qui fit école jusqu’en terre arabe coupée de la riche tradition musulmane (cf. la folle dérive sanguinaire d’un Saddam Hussein) insensibilisation sans le savoir des pires mécanismes idéologiques de la religion : le dogme de l’infaillibilité du Parti, le Parti érigé en représentant fétiche du « Peuple tout entier », la promulgation d’un athéisme d’Etat obligatoire…).

 Legendre a resserré, au plus près de la logique du rite, la catastrophe conflictuelle, délirante que fut le crime généalogique du nazisme. Issu d’une opposition historique à mort entre la circoncision, version juive somatique de l’entrée du sujet dans la Loi avec la dialectique du désir et le baptême, version de la métaphore paternelle au cœur de génie du christianisme latin puisqu’il n’y de « circoncision » que du « cœur » d’une opération sacramentelle, symbolique. (St Paul). La version spirituelle de la même entrée pour le sujet dans la dialectique de Loi et du Désir s’effectuant par le primat du symbolique, de l’esprit : « le Verbe se fait Chair ».  Le Christ, St Jean, St Paul sont les pivots fondateurs du statut universel du christianisme, nœud Imaginaire, au Nom du Père et du Fils, de la géniale articulation au Réel d’Abraham, principe paternel autant qu’intercesseur réel de la Loi, puis de la foi. Dans la Genèse, apparaît  le Père d’une « multitude de nations » (16: 3-4) celle de la génération Mosaïque (Isaac), christique (Jésus), (Ismaël) musulmane -et non simplement arabo-musulmane.

Chateaubriand et Flaubert, eux-mêmes, n’ont-ils pas stupidement enfermé l’Islam dans la simple communauté arabe où le Coran fut écrit? La tentation d’interpréter le Coran comme un plagiat du judaïsme démontre une incapacité certaine, une méprise certaine de la dogmaticité interne du monothéisme. Ainsi, selon un schème de lecture parfaitement isolé par Deleuze à bon droit à propos de la doctrine platonicienne de la vérité, certains projettent sur les rapports entre Coran, Évangiles, Torah, le schéma du simulacre, de la copie, de l’original.

En contrepoint antiphilosophique d’une doctrine de l’Etre et de la vérité, Lacan a proposé dans son enseignement dès 1974-1975, une théorie « écrite » de l’ « impensable » qu’est le Réel. L’application de la théorie des nœuds borroméens sur ce que Freud nommait la « psychologie collective » est d’autant plus opérante que le destin qui s’y joue ne concerne rien de moins que la réalité généalogique, la « structure » même pour paraphraser J. A. Miller mais au sens généalogique, selon la logique antiphilosophique de l’oxymore, la vie, la mort, les langes, le linceul, le double vrai trou de la Loi vide et de la Jouissance impossible, celui du Sexe et de la Mort, l’un et l’autre ordonnés selon la logique inconsciente de l’acte manqué. Pascal a raison, le point authentique de la conversion, c’est la structure du « pari », autre mesure de l’incommensurable liberté subjective insondable et positive, celle la «décision de l’être ». « Tenez bien la corde. Une corde en effet, quand à l’autre bout c’est noué, on peut s’y tenir. Ça a faire avec le réel ». La corde est aussi l’une des plus sublime métaphore mahométane du discours amoureux.  

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