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La croyance prise à la lettre 
Par Jean Louis Blaquier, enseignant en philosophie, Doctorant en psychanalyse. 

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Le Texte sans corps des sociétés ne peut se confondre avec le texte vivant des sujets 

Intarissable Antigone, n’est-ce pas toi la source incommensurable de la croyance vraie, la sœur de l’Ange qui vient nommée Histoire ou Théologie ? Qui es-tu sœur du rebelle Polynice? N’est-ce pas de l’appel de ton Nom que tant de résistances se lèvent contre tous les Créon?  Soupir de l’Ange ou de sa sœur qui reste inlassablement incompréhensible à ceux qui, du principe de raison, n’ont pas sondé que c’est sur la folie des passions, le délire du cœur, qu’il repose.

Essai

Le Texte sans corps des sociétés ne peut se confondre avec le texte vivant des sujets : le sujet de l’inconscient. De même, la division du sujet, entre énonciation et énoncé, est le seul nom de la césure toujours déjà laïque, entre le particulier du sujet et le sujet universel. Mais cette césure d’être image du Tiers ne signifie pas, sauf à tomber dans le sophisme, la Loi, la castration.  Dès l’apparition du premier tabou, l’être humain fait l’expérience mélangée de la terreur, de l’amour, de la croyance en l’Autre. C’est à cet Autre qu’il suppose un savoir sur la Loi, comme sur la jouissance qui alimentent le fantasme d’évidence de tous les racismes, à commencer nous apprend la psychose, l’amour retourné en haine de l’Autre sexe, de l’Autre peuple… Ainsi, par exemple, toute décision de guerre manipule le sujet par la promotion imaginaire de l’adversaire et l’appel à la référence d’un Texte, seul objet et seul enjeu symbolique du combat (Carl Schmitt). Faute d’arguments, on passe aux armes, faute d’un Tiers séparateur, de droit international, l’exception devient règle. Aucun alibi ne manque, le « bien » de l’Autre, le « mal » de l’Autre, l’« axe » de la culture, de la civilisation, l’épreuve de l’élection, de la désignation par l’Autre est invoqué avec la régularité binaire d’un clavier universel à forte teneur identitaire ou communautaire: le Bien, le Mal, l’inclus, l’exclu, le familier, l’étranger... Manès, totem absolu de la première figure terroriste subjective, incapable de penser un par-delà le Mal, un par-delà le Bien, est l’habitant privilégié de la zone d’ombre de toute croyance. Là où est la bêtise et l’inconvenance rencontrent leur communauté de destin, nous révèle Robert Musil, là est la volonté nihiliste d’éliminer jusqu’aux traces, jusqu’aux restes du désir de l’Autre.  

L’inconscient veille toujours et son ordre, entre science et religion, n’est jamais démenti quand effectivement le sujet trouve repère en la faculté de l’imagination.  C’est bien la « folle du logis » où nul sujet ne se trouve chez soi, qui se prolonge d’une théorie de la folie, du Mal ou de la Grâce. Bien avant Lacan, lequel avait repéré que l’un des sommets de l’angle du transfert est la Grâce, le christianisme, monothéisme d’origine latine en Occident, a exposé la singularité du sujet de la religion à la splendeur providentielle. « De même que ce qui commence est l’universel, ainsi le résultat est-il le singulier, le concret, le sujet » écrit Hegel. Longtemps l’idéologie persistante du christianisme a été une névrotisation du corps, comme si le désir n’arrivait jamais a se défaire de l’originelle emprise du péché. Le ravalement de la femme (exclusion de fait de l’espace public, des magistères…) est certainement un des effets non pas dogmatique mais idéologique de ce qui, dans le noyau du monothéisme, gravite autour du tabou de la virginité en sa dimension apollinienne, esthétique.

Est-ce un  progrès interne au monothéisme que la substitution par l’Islam de l’innocence à l’état natif en lieu et place du péché? Auquel cas, le meurtre de Moïse, le meurtre du Père, du Fils, la faute donc qui a construit l’intériorité conscientielle du sujet chrétien aux yeux de Nietzsche serait pardonné, pardonnable? Le rigorisme de la dogmatique cultuelle de l’Islam ne serait-elle pas dans sa simplicité normative le rappel discret que si le péché n’est pas à l’origine, l’oubli de soi, l’oubli de Dieu ne sont rien d’autre que la figure du nihilisme soit la promotion du « vide » narcissique, du rien qui sépare et atomise à l’infini? Quelle que soit son étymologie hébraïque, chrétienne, coranique, le Mal n’est pas seulement privation, oubli de l’Un mais force réactive de ce qui sépare la puissance d’avec elle-même, le principe de vie.

Il n’est pas si sûr que la critique nietzschéenne du ressentiment religieux résiste à un Irénée de Lyon, dès le IIè siècle de notre ère ou, à la version coranique de la Parole, de l’Esprit de « Dieu », laquelle n’inscrit pas une seule fois dans son Texte, le signifiant « Père ». Deleuze et Guattari ont négligé le fait que la foi, la religion musulmane en sa structure anticléricale relève d’un antipsychologisme! En effet, ce qui fait convergence entre croyants juifs, chrétiens et musulmans, c’est la foi, « simple » fidélité en l’unicité de Dieu hors de toute idolâtrie, au-delà des marques identitaires et meurtrières du « sang , et du « sol ». Ce qui fait critère éthique et politique en ce qui concerne la fonction dogmatique (dogma : « ce qui est bon ») de la croyance, c’est précisément d’échapper au fantasme intégriste, narcissique pour un candidat à un Tout du Désir impossible à combler, à mettre en image sous la forme visible ou tangible qui ne chute par dans le piège spectaculaire de l’idole. La distance de l’icône, de l’image intériorisée, prise dans le travail de la métaphore à l’égard de ce que Lacan épingle « la langue », est condition nécessaire pour qu’un sujet de la parole puisse émerger, libérant ainsi la logique du croire de sa confusion émotionnelle, affective d’avec « la foi » et l’expérience du « craindre », de l’effroi devant le Sexe comme Chose ineffable.  Le plus grand danger du « croire » réside dans l’idolâtrie de l’affirmation sans dialogue, D’ailleurs, la question de la différence sexuelle, de la différence ontologique, théologique, politique, psychanalytique, amoureuse entre l’homme et la femme, nous savons depuis la découverte freudienne, le champ lacanien que là, l’humaine condition est confrontée à un impossible. Un impossible qui suscite le mensonge ou le sinthome (le saint homme) idéologique, religieux, la « vérité comme structure de fiction » (Lacan) au plus intime de la réalité, du réel lui-même permet de saisir comment la logique de la foi, procède d’un mensonge vérace comme si seul un Dieu pouvait sauver la vie, et les hommes d’une cruauté de destin. Ainsi, la religion comme « philosophie des pauvres » ( Nietzsche) n’est-elle rien d’autre qu’un grand transfert infini –vaste psychothérapie collective à l’échelle démocratique, par delà tout ressentiment ?- vers la trace de l’Autre infiniment Un, Etre infiniment Autre? Le crime généalogique, la « conception bouchère » de la filiation selon l’expression de l’occidentaliste Pierre Legendre ou crime ontologique parfait, Imprescriptible Jankélévitch met en évidence que les sages de la foi dans leur dialogue avec les sages du logos doivent désormais inventer le chiffre de leur puissances auprès des multitudes démocratiques qui viennent. Rien de plus réactif que d’opposer deux régimes de paroles, deux régimes de désir celui du prophètes, celui du poète. La dimension esthétique  du monothéisme est le reste imaginal d’un héritage qui donne droit au désir d’un Autre rapport à la Raison si, du délire, toute les conséquences ont été tirées.  

Vers la page 9 L’imagination, 
liant le « croire »  et l’ « effroi » au destin de l’image

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