Le
Texte sans corps des sociétés ne peut se confondre avec le texte
vivant des sujets
Intarissable
Antigone, n’est-ce pas toi la source incommensurable de la croyance
vraie, la sœur de l’Ange qui vient nommée Histoire ou Théologie ?
Qui es-tu sœur du rebelle Polynice? N’est-ce pas de l’appel de ton
Nom que tant de résistances se lèvent contre tous les Créon?
Soupir de l’Ange ou de sa sœur qui reste inlassablement
incompréhensible à ceux qui, du principe de raison, n’ont pas sondé
que c’est sur la folie des passions, le délire du cœur, qu’il
repose.
Essai
Le
Texte sans corps des sociétés ne peut se confondre avec le texte
vivant des sujets : le sujet de l’inconscient. De même, la
division du sujet, entre énonciation et énoncé, est le seul nom de la
césure toujours déjà laïque, entre le particulier du sujet et le
sujet universel. Mais cette césure d’être image du Tiers ne signifie
pas, sauf à tomber dans le sophisme, la Loi, la castration.
Dès l’apparition du premier tabou, l’être humain fait
l’expérience mélangée de la terreur, de l’amour, de la croyance
en l’Autre. C’est à cet Autre qu’il suppose un savoir sur la Loi,
comme sur la jouissance qui alimentent le fantasme d’évidence de tous
les racismes, à commencer nous apprend la psychose, l’amour retourné
en haine de l’Autre sexe, de l’Autre peuple… Ainsi, par exemple,
toute décision de guerre manipule le sujet par la promotion imaginaire
de l’adversaire et l’appel à la référence d’un Texte, seul
objet et seul enjeu symbolique du combat (Carl Schmitt). Faute
d’arguments, on passe aux armes, faute d’un Tiers séparateur, de
droit international, l’exception devient règle. Aucun alibi ne
manque, le « bien » de l’Autre, le « mal » de
l’Autre, l’« axe » de la culture, de la civilisation,
l’épreuve de l’élection, de la désignation par l’Autre est
invoqué avec la régularité binaire d’un clavier universel à
forte teneur identitaire ou communautaire: le Bien, le Mal, l’inclus,
l’exclu, le familier, l’étranger... Manès, totem absolu de la
première figure terroriste subjective, incapable de penser un par-delà
le Mal, un par-delà le Bien, est l’habitant privilégié de la zone
d’ombre de toute croyance. Là où est la bêtise et l’inconvenance
rencontrent leur communauté de destin, nous révèle Robert Musil,
là est la volonté nihiliste d’éliminer jusqu’aux traces,
jusqu’aux restes du désir de l’Autre.
L’inconscient
veille toujours et son ordre, entre science et religion, n’est jamais
démenti quand effectivement le sujet trouve repère en la faculté de
l’imagination.
C’est bien la « folle du logis » où nul sujet ne
se trouve chez soi, qui se prolonge d’une théorie de la folie, du Mal
ou de la Grâce. Bien avant Lacan, lequel avait repéré que l’un des
sommets de l’angle du transfert est la Grâce, le christianisme,
monothéisme d’origine latine en Occident, a exposé la singularité
du sujet de la religion à la splendeur providentielle. « De même
que ce qui commence est l’universel, ainsi le résultat est-il le
singulier, le concret, le sujet » écrit Hegel. Longtemps l’idéologie
persistante du christianisme a été une névrotisation du corps, comme
si le désir n’arrivait jamais a se défaire de l’originelle emprise
du péché. Le ravalement de la femme (exclusion de fait de l’espace
public, des magistères…) est certainement un des effets non pas
dogmatique mais idéologique de ce qui, dans le noyau du monothéisme,
gravite autour du tabou de la virginité en sa dimension apollinienne,
esthétique.
Est-ce
un progrès
interne au monothéisme que la substitution par l’Islam de
l’innocence à l’état natif en lieu et place du péché? Auquel
cas, le meurtre de Moïse, le meurtre du Père, du Fils, la faute donc
qui a construit l’intériorité conscientielle du sujet chrétien aux
yeux de Nietzsche serait pardonné, pardonnable? Le rigorisme de la
dogmatique cultuelle de l’Islam ne serait-elle pas dans sa simplicité
normative le rappel discret que si le péché n’est pas à
l’origine, l’oubli de soi, l’oubli de Dieu ne sont rien d’autre
que la figure du nihilisme soit la promotion du « vide »
narcissique, du rien qui sépare et atomise à l’infini? Quelle que
soit son étymologie hébraïque, chrétienne, coranique, le Mal n’est
pas seulement privation, oubli de l’Un mais force réactive de ce qui
sépare la puissance d’avec elle-même, le principe de vie.
Il
n’est pas si sûr que la critique nietzschéenne du ressentiment
religieux résiste à un Irénée de Lyon, dès le IIè siècle de notre
ère ou, à la version coranique de la Parole, de l’Esprit de « Dieu »,
laquelle n’inscrit pas une seule fois dans son Texte, le signifiant
« Père ». Deleuze et Guattari ont négligé le fait que la
foi, la religion musulmane en sa structure anticléricale relève d’un
antipsychologisme! En effet, ce qui fait convergence entre croyants
juifs, chrétiens et musulmans, c’est la foi, « simple »
fidélité en l’unicité de Dieu hors de toute idolâtrie, au-delà
des marques identitaires et meurtrières du « sang , et du
« sol ». Ce qui fait critère éthique et politique en ce
qui concerne la fonction dogmatique (dogma :
« ce qui est bon ») de
la croyance, c’est précisément d’échapper au fantasme intégriste,
narcissique pour un candidat à un Tout du Désir impossible à combler,
à mettre en image sous la forme visible ou tangible qui ne chute par
dans le piège spectaculaire de l’idole. La distance de l’icône, de
l’image intériorisée, prise dans le travail de la métaphore à l’égard
de ce que Lacan épingle « la langue », est condition nécessaire
pour qu’un sujet de la parole puisse émerger, libérant ainsi la
logique du croire de sa confusion émotionnelle, affective d’avec
« la foi » et l’expérience du « craindre »,
de l’effroi devant le Sexe comme Chose ineffable.
Le plus grand danger du « croire » réside dans
l’idolâtrie de l’affirmation sans dialogue, D’ailleurs, la
question de la différence sexuelle, de la différence ontologique, théologique,
politique, psychanalytique, amoureuse entre l’homme et la femme, nous
savons depuis la découverte freudienne, le champ lacanien que là,
l’humaine condition est confrontée à un impossible. Un impossible
qui suscite le mensonge ou le sinthome
(le saint homme) idéologique,
religieux, la « vérité comme structure de fiction »
(Lacan) au plus intime de la réalité, du réel lui-même permet de
saisir comment la logique de la foi, procède d’un mensonge vérace
comme si seul un Dieu pouvait sauver la vie, et les hommes d’une
cruauté de destin. Ainsi, la religion comme « philosophie des
pauvres » ( Nietzsche) n’est-elle rien d’autre qu’un grand
transfert infini –vaste psychothérapie collective à l’échelle démocratique,
par delà tout ressentiment ?- vers la trace de l’Autre infiniment Un,
Etre infiniment Autre? Le crime généalogique, la « conception
bouchère » de la filiation selon l’expression de
l’occidentaliste Pierre Legendre ou crime ontologique parfait, Imprescriptible
Jankélévitch met en évidence que les sages de la foi dans leur
dialogue avec les sages du logos
doivent désormais inventer le chiffre de leur puissances auprès des
multitudes démocratiques qui viennent. Rien de plus réactif que
d’opposer deux régimes de paroles, deux régimes de désir celui du
prophètes, celui du poète. La dimension esthétique
du monothéisme est le reste imaginal d’un héritage qui donne droit
au désir d’un Autre rapport à la Raison si, du délire, toute
les conséquences ont été tirées.
Vers
la page 9 L’imagination,
liant le « croire » et
l’ « effroi » au destin de l’image
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