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PHILOSOPHIE - CLASSES PREPAS par J. Llapasset

LE MAL par Jean Louis Blaquier

Dé-cisions du Mal : philosopher, psychanalyser

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- Conditions de la Décision.

Dans le fond, c'est la d é-substantification du Mal qui a levé l'Idéal des religions, et avec lui toute clinique de la perversion, au rang de la Référence, de l'Autre absolu ; cependant du totem primitif aux montages juridiques et politiques des Etats, il y a une même dynamique constitutive du religieux où sujets et sociétés construisent leur principe identificatoire selon leur mode de réponse à ce qui fait trou dans le symbolique : le Père n'est que le masque des totems et des tabous, des Ancêtres et de Dieu. Du mythe individuel du névrosé (Lacan) au mythe fondateur des sociétés, une seule interrogation, la division du laïque et du sacré face à la nécessaire mise en scène de l'abîme, le remplissage du vide par les mots, les signifiants, les images sont la figure incise d'une hypostase du Mal. La transparence du Mal se décide d'une question fondamentale : qui est l'Autre ? La dé-cision du Mal, la traversée de son simulacre comme absolu substantiel implique de symboliser le vide au cœur de l'Autre, de s'ouvrir à la question tragique de l'abîme afin de l'habiter. Habiter la structure de la finitude ontologique de l'humain en poète suggère le dernier Heidegger dont le premier Lacan fera hommage au titre de ce que son enseignement clinique notamment à partir à ce que le dit psychotique dit de l'insondable indécision de l'être. L'affirmation de la parole de l'être suppose l'inexistence de l'Autre. La dimension symbolique et fondatrice du sujet, son affirmation fondamentale dans l'existence -bejahung- constitue proprement ce qui n'existe pas et soulignons, c'est comme tel qu'il ek-siste, car rien n'existe que sur fond supposé d'absence. Rien n'existe qu'en tant qu'il n'existe pas. L'exemple clinique de l' hallucination du doigt coupé de l'homme aux loups indique ceci : le contenu de l'hallucination si imposante sur le plan symbolique, y doit son apparition dans le réel à ce qu'il n'existe pas pour le sujet .

A rebours, le discours de la philosophie tient une de ses plus grandes originalités, de sa rupture avec l'idée d'une vérité transcendante et révélée. La Mal traduit l'opacité de l'immanence comme seul et unique plan de consistance de la vérité recherchée dans l'entrelacs des mots et des choses. Le plus difficile du philosopher, c'est le corps, la sensibilité, l'inconscient. Symptomatiquement, le christianisme est la vérité ultime du monothéisme par la question cruciale en effet de la rencontre synergique mais hors de toute confusion de genre, de l'être, de l'Un et de l'Autre comme lieu du feu libérateur de ce qui, au-delà ou plutôt en deçà du principe de raison, pose la question princeps pour la pratique philosophique et la clinique psychanalytique : l'incarnation devient le travail infini de la métaphore, de la mise en scène du Rien, du Réel.

Les conditions véritables d'une véritable dé-cision du Mal suppose une de-liaison, une analyse du psychisme dont Freud invente le dispositif. Sa conséquence contemporaine suppsoe que l 'éthique -et non le droit- soit indexé sur l'intelligence collective : les comités d'éthiques en sont-ils des embryons au temps de l'Autre qui n'existe pas ? Les grands fondateurs de liens sociaux que sont les blocs de spiritualités orientales (les Kabalistes, Boudhha, la philosophie indienne, zen…Lacan, lui-même Maître Zen !) Moyen-Orientale (Muhammad, Avicenne, Averroes, Al Fârâbî) ou occidentale (Moïse, Socrate… tous ce qui furent du Banquet des philosophes jusqu'à celui des analystes, sont désormais à considérer comme les pionniers de l'économie des qualités humaines, de l'intelligence collective autour de quoi gravitent désormais toutes guerres invisibles à venir… Ce sont les grands nomades de l'invisible des Idées, du concepts, seul plan de consistance du Corps sans organes d'où les grandes découvertes scientifiques, esthétiques, les grandes inventions théoriques, techniques se lèvent…. 

Quelle que soit la permanence du malheur et de la souffrance, l'humanité lumineuse et numineuse est toujours là : les grands axes multiséquentiels des échanges toujours plus planétaires tissent ce qui se crée dans ce qui unifie. Comment ne pas croire que la traversée du Mal est toujours possible pour celui dont l'espoir se confond avec la compassion active ? Germaine Tillion sait que la dé-cision du Mal commence avec le désir de témoigner, témoigner l'impossible même de l'horreur, de l'affliction au cœur de tout témoignage . Témoigner non pas à la place mais pour le témoin qui ne peut plus témoigner : le bourreau, le fou. Comme bien d'autres témoins, Primo Lévi, Filip Müller , ils témoignent sur un mode radicalement non philosophique, ce qu'aucune philosophie ne peut comprendre seule. Impuissance de la vérité ? Dans le verset 31.8 Salomon nous pouvons lire: "Ouvre ta bouche pour les muets et pour la cause de tous ceux qui sont abandonnés". 

La dé-cision du Mal est l'expérience non philosophique de toute philosophie possible elle suppose qu'une déliaison par la concaténation signifiante soit possible dans l'espace du langage, de la parole comme dan celui de la culture. D'une certaine façon, Internet est une réponse possible au Malaise dans la Civilisation puisqu'il met en acte à la surprise générale, un des accents terminaux de l'enseignement de Lacan, la non existence de l'Autre. 

Notes:
Badiou, Alain L'Ethique (Essai sur la conscience du Mal) Ed Hatier 1993.
Lacan Ecrits op. cit. p. 392. Voir le remarquable François Balmès Ce que Lacan dit de l'être (1953-1960) PUF. 1999.