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Conditions de la Décision.
Dans
le fond, c'est la d é-substantification du Mal qui a
levé l'Idéal des religions, et avec lui toute clinique
de la perversion, au rang de la Référence, de l'Autre
absolu ; cependant du totem primitif aux montages
juridiques et politiques des Etats, il y a une même
dynamique constitutive du religieux où sujets et sociétés
construisent leur principe identificatoire selon leur
mode de réponse à ce qui fait trou dans le symbolique
: le Père n'est que le masque des totems et des tabous,
des Ancêtres et de Dieu. Du mythe individuel du névrosé
(Lacan) au mythe fondateur des sociétés, une seule
interrogation, la division du laïque et du sacré face
à la nécessaire mise en scène de l'abîme, le
remplissage du vide par les mots, les signifiants, les
images sont la figure incise d'une hypostase du Mal. La
transparence du Mal se décide d'une question
fondamentale : qui est l'Autre ? La dé-cision du Mal,
la traversée de son simulacre comme absolu substantiel
implique de symboliser le vide au cœur de l'Autre, de
s'ouvrir à la question tragique de l'abîme afin de
l'habiter. Habiter la structure de la finitude
ontologique de l'humain en poète suggère le dernier
Heidegger dont le premier Lacan fera hommage au titre de
ce que son enseignement clinique notamment à partir à
ce que le dit psychotique dit de l'insondable indécision
de l'être. L'affirmation de la parole de l'être
suppose l'inexistence de l'Autre. La dimension
symbolique et fondatrice du sujet, son affirmation
fondamentale dans l'existence -bejahung- constitue
proprement ce qui n'existe pas et soulignons, c'est
comme tel qu'il ek-siste, car rien n'existe que sur fond
supposé d'absence. Rien n'existe qu'en tant qu'il
n'existe pas. L'exemple clinique de l' hallucination du
doigt coupé de l'homme aux loups indique ceci : le
contenu de l'hallucination si imposante sur le plan
symbolique, y doit son apparition dans le réel à ce
qu'il n'existe pas pour le sujet .
A rebours, le discours de la philosophie tient une de
ses plus grandes originalités, de sa rupture avec l'idée
d'une vérité transcendante et révélée. La Mal
traduit l'opacité de l'immanence comme seul et unique
plan de consistance de la vérité recherchée dans
l'entrelacs des mots et des choses. Le plus difficile du
philosopher, c'est le corps, la sensibilité,
l'inconscient. Symptomatiquement, le christianisme est
la vérité ultime du monothéisme par la question
cruciale en effet de la rencontre synergique mais hors
de toute confusion de genre, de l'être, de l'Un et de
l'Autre comme lieu du feu libérateur de ce qui, au-delà
ou plutôt en deçà du principe de raison, pose la
question princeps pour la pratique philosophique et la
clinique psychanalytique : l'incarnation devient le
travail infini de la métaphore, de la mise en scène du
Rien, du Réel.
Les conditions véritables d'une véritable dé-cision
du Mal suppose une de-liaison, une analyse du psychisme
dont Freud invente le dispositif. Sa conséquence
contemporaine suppsoe que l 'éthique -et non le droit-
soit indexé sur l'intelligence collective : les comités
d'éthiques en sont-ils des embryons au temps de l'Autre
qui n'existe pas ? Les grands fondateurs de liens
sociaux que sont les blocs de spiritualités orientales
(les Kabalistes, Boudhha, la philosophie indienne,
zen…Lacan, lui-même Maître Zen !) Moyen-Orientale
(Muhammad, Avicenne, Averroes, Al Fârâbî) ou
occidentale (Moïse, Socrate… tous ce qui furent du
Banquet des philosophes jusqu'à celui des analystes,
sont désormais à considérer comme les pionniers de l'économie
des qualités humaines, de l'intelligence collective
autour de quoi gravitent désormais toutes guerres
invisibles à venir… Ce sont les grands nomades de
l'invisible des Idées, du concepts, seul plan de
consistance du Corps sans organes d'où les grandes découvertes
scientifiques, esthétiques, les grandes inventions théoriques,
techniques se lèvent….
Quelle que soit la permanence du malheur et de la
souffrance, l'humanité lumineuse et numineuse est
toujours là : les grands axes multiséquentiels des échanges
toujours plus planétaires tissent ce qui se crée dans
ce qui unifie. Comment ne pas croire que la traversée
du Mal est toujours possible pour celui dont l'espoir se
confond avec la compassion active ? Germaine Tillion
sait que la dé-cision du Mal commence avec le désir de
témoigner, témoigner l'impossible même de l'horreur,
de l'affliction au cœur de tout témoignage . Témoigner
non pas à la place mais pour le témoin qui ne peut
plus témoigner : le bourreau, le fou. Comme bien
d'autres témoins, Primo Lévi, Filip Müller , ils témoignent
sur un mode radicalement non philosophique, ce qu'aucune
philosophie ne peut comprendre seule. Impuissance de la
vérité ? Dans le verset 31.8 Salomon nous pouvons
lire: "Ouvre ta bouche pour les muets et pour la
cause de tous ceux qui sont abandonnés".
La dé-cision du Mal est l'expérience non philosophique
de toute philosophie possible elle suppose qu'une déliaison
par la concaténation signifiante soit possible dans
l'espace du langage, de la parole comme dan celui de la
culture. D'une certaine façon, Internet est une réponse
possible au Malaise dans la Civilisation puisqu'il met
en acte à la surprise générale, un des accents
terminaux de l'enseignement de Lacan, la non existence
de l'Autre.
Notes:
Badiou, Alain L'Ethique (Essai sur la conscience du Mal)
Ed Hatier 1993.
Lacan Ecrits op. cit. p. 392. Voir le remarquable François
Balmès Ce que Lacan dit de l'être (1953-1960) PUF.
1999. |