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PHILOSOPHIE - CLASSES PREPAS par J. Llapasset

LE MAL par Jean Louis Blaquier

Dé-cisions du Mal : philosopher, psychanalyser

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-II Psychanalyser : le sériel de la structure et l'orientation éthique de l'acte analytique.

Incisions, circoncision, cisions et dé-cisions : condition de la castration.

 "La loi est au service du désir qu'elle institue par l'interdiction de l'inceste". Lacan Ecrits p. 852.

- Incisions.
Cette incision de l'image de l'Autre au cœur du montage du sujet vérifie l'autre versant de la responsabilité, celle du sujet devant l'inconscient dont perversion et psychose exposent les limites absolues en exprimant " l'insondable décision de l'être " . La figure de la folie, de l'insensé, entropie psychique maximum, ou extériorité de l'être à soi : perdre la raison, perdre le bon sens, perdre l'amour de soi, des autres, de la vie… Dans cette perspective, le mal psychique donne consistance imaginaire à du non-être ou à un faux infini. 
L'oubli de Parménide : l'Etre est, le non-Etre n'est pas, prépare aux conduites tragiques du pire : la confusion de l'image, toujours l'image de l'Autre (icône) avec l'idole, de la copie et de l'original voire la multi-diffusion des copies de copies sans que l'original soit transmis serait une faute de mémoire qui ouvrirait le collectif à toutes les cruautés. L'erreur (irrtum) de Heidegger voire sa plus grande bêtise (Dummheit) moins à la haine qu'au point aveugle que tout amour recèle en proie aux sirène du désir dans le fond tres hégélien du Maître universitaire. La question de l'Etre pour Heidegger n'incise pas la question de l'Autre : elle constitue même à certains égard un non pas en arrière puisque l'origine juive de la théologie chrétienne fut l'impensé de Heidegger. Ironie collective de l'intelligence, René Char, Bataille et Lacan discernèrent dans l'enseignement de Heidegger la question préalable de la différence ontologique à partir de l'Autre comme langage, code poétique de la langue, du dire. Derrière nos fautes éthiques, le philosophe doit démasquer, repérer les fautes logiques mais derrière nos fautes logiques, le psychanalyste doit savoir interpréter ou construire, ce qui du défaut de désir de l'Autre, de la métaphore paternelle, sa forclusion elle-même, pour un sujet a pu entraîner le désastre dont il se plaint : un temps vide de tout désir possible. Folie de Maupassant auteur du Horla qui aussi bien signe un Hors du temps, un hors-là. 

La question du Père se pluralise en Occident depuis notre entrée dans le temps de l'Autre qui n'existe pas mais le noyau dogmatique de son efficace suppose que cette limite reste encore une dé-cision, une in-cision dans nos pratiques symboliques. Le Père est toujours une affaire vivante de symbole, un montage théâtral, l'artifice inventif qui déjouera toujours nos positivismes logiques ou naïfs.

- Circoncision.
Toute tentative de constituer le Mal comme substance aboutit à transformer l'existence elle-même comme Mal radical. Giacomo Léopardi a tout dit dans cette perspective tragique. Heureusement sa Théorie du plaisir si lucide sur la réalité exponentielle de la canaillerie parmi les hommes -diagnostic lucide qu'il partage avec Freud- est davantage fausse que dangereuse, tant la logique du sens ne laisse aucune place à ce que la psychanalyse vise comme invention du réel issue des logiques paradoxales des formations de l'inconscient. N'oublions pas la " haine amoureuse " de Nietzsche pour Socrate.

Si Socrate, puis Spinoza, puis Nietzsche, avec la révolution freudienne, libèrent 
définitivement le territoire de l'éthique d'une quelconque annexion par la théologie, le champ des religions, c'est par l'identification des sophistes et au-delà, par la dé-liaison de ce que la question du Mal emporte de croyance savante ou naïve en la substance, en l'absolu du vrai, du vérace ou de la certitude. Et pourtant la psychanalyse ne peut s'acquitter simplement de son origine tragique grecque et même de son histoire juive. 
Avant Socrate, Moïse, afin d'être juste avec Freud. " l'horreur de la circoncision est à l'initiale de toute la législation chrétienne " . La conception chrétienne de la Loi et du Désir est susceptible de se résoudre dans le primat du symbolique : le Verbe peut et doit se faire chair. L'héritage romano-chrétien résout le tragique par son effacement au profit d'une dialectique unifiante de la réjouissance. Dans la version du Meilleur des mondes possibles, industrialisme et management à vocation universelle en sont de strictes déductions : un monde, une société d'hommes comiquement délivrés de l'abîme, de la mort. Le scientisme biomédical contemporain est en fait, un retour burlesque du polythéisme en prétendant gérer les deux gouffres de la condition humaine: la naissance et la mort. Le Mal est pardonnable, les péchés rémissibles mais quel Miroir, quels emblèmes, quelles images qui évoquant l'indicible font encore écran à l'abîme ? 
L'œuvre de Magritte constitue une didactique ludique et irremplaçable au sort 
métaphysique de l'humain : habiter l'abîme par le recours aux images. Le christianisme est " constitutif du texte même dans le système industriel : il est la doctrine industrielle du texte ". En revanche, le mode spécifiquement juif de l'interprétation de la Loi et du Désir se soutient de ceci : entre la Loi et le Désir, le couteau, le principe de séparation n'est pas un pur signifiant, une pure équivoque d'une seule et même catégorie symbolique ; il est un incontournable Réel. Entre la Loi et le Désir, il n'y a pas une question mais deux questions. Les deux rites qui notifient l'entrée dans la vie, dans la castration, celui de la circoncision et celui du baptême, ouvrent deux abîmes dans l'ordre interprétatif du discours de la Loi et du Désir. Le premier abîme serait le primat du " tout est langage, " le Mal est symbolique, le second abîme serait, le primat du Réel qu'il conviendrait de sauver, " tout est jouissance, tout est réel ". La Shoah est le résultat historique de ce conflit paroxystique dans l'interprétation entre Juifs et Chrétiens. Ce n'est pas un hasard si la réponse du nazisme -comme, toute proportion gardée, le point d'aveuglement de Heidegger- procède précisément de ce qui du Réel se définit toujours comme l'impossible à symboliser. Les nazis ne furent bien sûr pas lacaniens ! Mais nous devons méditer qu'ils furent vaincus non par des arguments, la force symbolique des mots, du signifiant (impuissance de la vérité) mais par la force des armes (puissance du réel) !


Notes:
J. Lacan Ecrits, Paris, Seuil, 1966 . "La causalité psychique " et Séminaire sur les Psychoses.