-II
Psychanalyser : le sériel de la structure et
l'orientation éthique de l'acte analytique.
Incisions,
circoncision, cisions et dé-cisions : condition de la
castration.
"La
loi est au service du désir qu'elle institue par
l'interdiction de l'inceste". Lacan Ecrits p.
852.
- Incisions.
Cette incision de l'image de l'Autre au cœur du montage
du sujet vérifie l'autre versant de la responsabilité,
celle du sujet devant l'inconscient dont perversion et
psychose exposent les limites absolues en exprimant
" l'insondable décision de l'être " . La
figure de la folie, de l'insensé, entropie psychique
maximum, ou extériorité de l'être à soi : perdre la
raison, perdre le bon sens, perdre l'amour de soi, des
autres, de la vie… Dans cette perspective, le mal
psychique donne consistance imaginaire à du non-être
ou à un faux infini.
L'oubli de Parménide : l'Etre est, le non-Etre n'est
pas, prépare aux conduites tragiques du pire : la
confusion de l'image, toujours l'image de l'Autre (icône)
avec l'idole, de la copie et de l'original voire la
multi-diffusion des copies de copies sans que l'original
soit transmis serait une faute de mémoire qui ouvrirait
le collectif à toutes les cruautés. L'erreur (irrtum)
de Heidegger voire sa plus grande bêtise (Dummheit)
moins à la haine qu'au point aveugle que tout amour recèle
en proie aux sirène du désir dans le fond tres hégélien
du Maître universitaire. La question de l'Etre pour
Heidegger n'incise pas la question de l'Autre : elle
constitue même à certains égard un non pas en arrière
puisque l'origine juive de la théologie chrétienne fut
l'impensé de Heidegger. Ironie collective de
l'intelligence, René Char, Bataille et Lacan discernèrent
dans l'enseignement de Heidegger la question préalable
de la différence ontologique à partir de l'Autre comme
langage, code poétique de la langue, du dire. Derrière
nos fautes éthiques, le philosophe doit démasquer, repérer
les fautes logiques mais derrière nos fautes logiques,
le psychanalyste doit savoir interpréter ou construire,
ce qui du défaut de désir de l'Autre, de la métaphore
paternelle, sa forclusion elle-même, pour un sujet a pu
entraîner le désastre dont il se plaint : un temps
vide de tout désir possible. Folie de Maupassant auteur
du Horla qui aussi bien signe un Hors du temps, un
hors-là.
La question du Père se pluralise en Occident depuis
notre entrée dans le temps de l'Autre qui n'existe pas
mais le noyau dogmatique de son efficace suppose que
cette limite reste encore une dé-cision, une in-cision
dans nos pratiques symboliques. Le Père est toujours
une affaire vivante de symbole, un montage théâtral,
l'artifice inventif qui déjouera toujours nos
positivismes logiques ou naïfs.
- Circoncision.
Toute tentative de constituer le Mal comme substance
aboutit à transformer l'existence elle-même comme Mal
radical. Giacomo Léopardi a tout dit dans cette
perspective tragique. Heureusement sa Théorie du
plaisir si lucide sur la réalité exponentielle de la
canaillerie parmi les hommes -diagnostic lucide qu'il
partage avec Freud- est davantage fausse que dangereuse,
tant la logique du sens ne laisse aucune place à ce que
la psychanalyse vise comme invention du réel issue des
logiques paradoxales des formations de l'inconscient.
N'oublions pas la " haine amoureuse " de
Nietzsche pour Socrate.
Si Socrate, puis Spinoza, puis Nietzsche, avec la révolution
freudienne, libèrent
définitivement le territoire de l'éthique d'une
quelconque annexion par la théologie, le champ des
religions, c'est par l'identification des sophistes et
au-delà, par la dé-liaison de ce que la question du
Mal emporte de croyance savante ou naïve en la
substance, en l'absolu du vrai, du vérace ou de la
certitude. Et pourtant la psychanalyse ne peut
s'acquitter simplement de son origine tragique grecque
et même de son histoire juive.
Avant Socrate, Moïse, afin d'être juste avec Freud.
" l'horreur de la circoncision est à l'initiale de
toute la législation chrétienne " . La conception
chrétienne de la Loi et du Désir est susceptible de se
résoudre dans le primat du symbolique : le Verbe peut
et doit se faire chair. L'héritage romano-chrétien résout
le tragique par son effacement au profit d'une
dialectique unifiante de la réjouissance. Dans la
version du Meilleur des mondes possibles, industrialisme
et management à vocation universelle en sont de
strictes déductions : un monde, une société d'hommes
comiquement délivrés de l'abîme, de la mort. Le
scientisme biomédical contemporain est en fait, un
retour burlesque du polythéisme en prétendant gérer
les deux gouffres de la condition humaine: la naissance
et la mort. Le Mal est pardonnable, les péchés rémissibles
mais quel Miroir, quels emblèmes, quelles images qui évoquant
l'indicible font encore écran à l'abîme ?
L'œuvre de Magritte constitue une didactique ludique et
irremplaçable au sort
métaphysique de l'humain : habiter l'abîme par le
recours aux images. Le christianisme est "
constitutif du texte même dans le système industriel :
il est la doctrine industrielle du texte ". En
revanche, le mode spécifiquement juif de l'interprétation
de la Loi et du Désir se soutient de ceci : entre la
Loi et le Désir, le couteau, le principe de séparation
n'est pas un pur signifiant, une pure équivoque d'une
seule et même catégorie symbolique ; il est un
incontournable Réel. Entre la Loi et le Désir, il n'y
a pas une question mais deux questions. Les deux rites
qui notifient l'entrée dans la vie, dans la castration,
celui de la circoncision et celui du baptême, ouvrent
deux abîmes dans l'ordre interprétatif du discours de
la Loi et du Désir. Le premier abîme serait le primat
du " tout est langage, " le Mal est
symbolique, le second abîme serait, le primat du Réel
qu'il conviendrait de sauver, " tout est
jouissance, tout est réel ". La Shoah est le résultat
historique de ce conflit paroxystique dans l'interprétation
entre Juifs et Chrétiens. Ce n'est pas un hasard si la
réponse du nazisme -comme, toute proportion gardée, le
point d'aveuglement de Heidegger- procède précisément
de ce qui du Réel se définit toujours comme
l'impossible à symboliser. Les nazis ne furent bien sûr
pas lacaniens ! Mais nous devons méditer qu'ils furent
vaincus non par des arguments, la force symbolique des
mots, du signifiant (impuissance de la vérité) mais
par la force des armes (puissance du réel) !
Notes:
J. Lacan Ecrits, Paris, Seuil, 1966 . "La causalité
psychique " et Séminaire sur les Psychoses.
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