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Suicides.
"Tout
ce qui ne tue pas rend plus fort" Nietzsche.
La mort comme désir, la destruction du vivant, de l'être,
ici et là, la liquidation de la " présence "
de soi, de l'autre enveloppe le Mal comme question et
problème. Le suicide -individuel ou collectif- même
volontaire s'effectue toujours au nom de la vie, mais sa
dimension d'acte, même volontaire, ne fait qu'annuler
l'image narcissique de soi, dès lors que tombent les
semblants du sujet réduit aux masques de l'ego, du moi.
Le suicide des humains est le lieu habituel d'un
interdit mais non d'un impossible. Il est le drame de la
confusion de l'identité et de l'appartenance imaginaire
du sujet à soi. Le sujet est divisé par l'Autre, lieu
du code de l'inconscient : avant d'être parlant, le
sujet est parlé. Dans la psychose, il faut tout l'appui
de la lettre, le secours de l'écriture, des formes de
l'Autre pour que le sujet espérer se construire comme
tel, et se découvrir comme " parlant " à d'
autres que lui. Au-delà du principe d'identité, le
sujet est inexorablement " immigré de la
subjectivité " selon la juste formule de Pierre Lévy.
Paradoxe clinique ? Le sujet ne peut rejoindre sans
mourir le principe de son identification s'il ne se détache
pas de l'Autre dont il provient et ne rattache pas au
collectif et à l'institutionnel par quoi il trouve ses
identifications. Autre qui, dans le fond, témoigne de
son inexistence précisément par la souffrance ou la
joie infinie dont est capable l'animal humain mortel.
N'oublions pas que pour Marcel Conche, l'une des preuves
de l'inexistence de Dieu, et du Mal absolu est la
souffrance des enfants. L'immensité du tragique, et
sans doute la redoutable question posée par Nietzsche,
son irréductibilité, ne peut faire oublier la rareté
bien réelle du Bien sous la forme de la joie vécue, de
la joie partagée. La tristesse est le signe le plus
manifeste de ce qui est mauvais et même du péché
selon Kierkegaard. Le Mal n'est que la marque de
l'impuissance de l'être à persévérer en soi, il est
ratage non de l'impossible mais de l'impossible comme
condition du possible, du virtuel comme invention de
l'humain. Cependant paradoxe suprême qui donne raison
à St Augustin, le Mal s'il pouvait s'identifier comme
substance n'existerait pas. Celui qui se suicide -même
les enfants, candidats à la mort, de plus en plus
nombreux et, de plus en plus jeunes- se donne la mort au
nom de la vie; de l'Autre vital.
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Crimes.
L'une
des priorités éthiques absolue du XXIè siècle
consiste à dépasser le ressentiment mais il reste
impossible de pratiquer la grande approbation nietzschéenne
de la volonté de l'Eternel retour comme Même.
Impossible de vouloir que Auschwitz puisse se répéter…,
impossible de désirer le Retour du Même mais plutôt désir
d'avènement du Différent. Le Réel n'est pas à
sauver, il reste plutôt une invention toujours déjà
à venir pour chacun, pour tous. L'une des singularités
catastrophiques de la politique est la participation
active d'un Etat à la légalisation du meurtre.
L'argument anthropologique de Pierre Legendre pose la
question du statut du sacrifice dans les sociétés
ultramodernes et permissives ; Michel Foucault évoquait
pour le XXè les sociétés de contrôle de la déviance
opposées aux sociétés du XIXè dites de discipline.
La Shoah -terme qui en hébreux signifie " insensé
", "catastrophe"- est un cas, hors de
toute raison, de sacrifice absurde, de faute
impardonnable et donc inoubliable parce que
injustifiable. Le Mal n'est pas seulement la douleur du
corps, la souffrance de l'âme, Epicure dans sa quête
du bonheur n'a pas remarqué la tragédie de
l'injustifiable qui engage un point aveugle fondamental
de la philosophie jusqu'à Freud ; la question de
l'Autre, du désir de l'Autre, au double sens, génitif
objectif, génitif subjectif. Le crime parfait, le crime
absolu est toujours crime qui vise l'essence de
l'humain, son "être", son "parlêtre".
Cet événement est-il une des conséquences du déclin
de la fonction paternelle en Occident?
Symptomatiquement, c'est le premier peuple de la Loi, de
la trace, du Livre qui a été au centre d'un tel fond
innommable du déchaînement du signifiant dans le Réel.
Auschwitz est un cas limite du forçage du nom lié à
une forclusion quasi industrielle mais surtout étatique
du Nom du Père. |