° Philosophie Classes prepas > Le Mal

PHILOSOPHIE - CLASSES PREPAS par J. Llapasset

LE MAL par Jean Louis Blaquier

Dé-cisions du Mal : philosopher, psychanalyser

Pages :  1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7 - 8 - 9 - 10 - 11 - 12 - 13 -

13

Site Philagora, tous droits réservés ©
_____________________________________________
 

II Psychanalyser : le sériel de la structure et l'orientation éthique de l'acte analytique.

 

Si la mort est une figure centrale du Mal, elle est aussi ouverture à la castration, seule voie d'accès au désir qui délie la souffrance psychique. Si le psychanalyste doit savoir ignorer ce qu'il sait ; il ne doit donc faire l'impasse ni sur la question de l'Etre, ni sur le pli de la différence ontologique évité justement par le discours métaphysique, en sa duplicité, autant de chicanes imaginaires pour le travail de l'analysant et de l'analyste. 

Bien des générations d'analystes ont lu Nietzsche sans voir ce que souligne Heidegger: "la pensée de Nietzsche est consacrée à la délivrance de l'esprit de vengeance". L'enjeu d'une cure est bien sous le signe du clinamen libérateur de tout ressentiment: haine de soi, haine de l'autre, haine de l'Autre. Fondamentalement n'est-elle pas ouverture du sujet à la dimension symbolique, autopoétique de la parole dans un régime de désir (un régime de pensée ?) intriqué à l'affirmation première de cette fiction anthropologique et philosophique-clef qu'est Eros, présentification ou figure-témoin de l'Enigmatique non existence de l'Autre et de l'innommable du Réel ? 

L'Autre, la jouissance de l'Autre en psychanalyse, lieu du dépôt de ce que le langage commun appelle le Mal, suppose une fiction métaphysique traversée celle d'un sujet transparent, un sujet indivisible, un sujet totalisable: la structure intentionnelle ou réfléchie de la conscience n'est pas le centre du psychisme puisque toute la découverte freudienne vise à décentrer le sujet de son socle identitaire, le moi, l'ego, l'ego cogito. Simultanément le miroir de l'Autre n'est pas sans dimension de tromperie à propos de l'amour dont Freud soutient qu'il se trouve immanquablement hypothéqué par le narcissisme. Narcisse est une grande allégorie antiphilosophique du Malheur, de la méchanceté, l'acte de philosopher véritable se soutient de la traversée du miroir, de la découverte de l'Etre ou de l'Autre comme cause de la vérité. L'Eros, conducteur ontologique, dans la clinique analytique situe son Ouvert au-delà de la haine confondue avec le ressentiment: l'Eros comme souci de soi est triple: critique, antiphilosophie, dépassement de la métaphysique. 

Cliniquement l'antiphilosophie est dépassement des mirages narcissiques de toute puissance infantile et résolution de cette aporie par le symbolique exposé à l'irréductible du réel à inventer. Telle est une des tâches de l'intellectuel engagé depuis le siècle de Freud. La Behajung, écrira Freud, "appartient à l'Eros" soit encore la stratégie " primultime ", immémoriale de la vie. Techniquement cela engage la responsabilité du désir de l'analyste soutenant immanquablement l'autre comme X, objet radicalement inconnaissable. Cela permet de redéfinir la posture éthique du psychanalyste face à la vérité clinique de son acte, toujours déjà requise par la force inventive de la singularité de l'interprétation. De même qu'avec la clinique analytique, la Chose, Ding, la mère vient à la place du péché ; l'éthique de l'analyste vient à la place de l'ontologie. L'antiphilosophie de Lacan provoque en fait une dé-cision du Mal, une désontologisation de l'inconscient , seule condition de l' acte analytique puisque c'est du vide de la vérité de l'inconscient structuré comme une fiction que se décide le passage au psychanalyste, ainsi que l' éperon du Bien-dire dont s'ordonne et s'oriente toute cure analytique.

Philosopher, analyser, éduquer, gouverner constituent quatre dé-cisions qui fragmentent, déconstruisent, traversent le Malaise du sujet dans la civilisation puisque c'est de l'impossible que s'oriente, se décide chacune de ces quatre pratiques dont se soutient le Nom des hommes, leur Nom propre, le propre de leur nom même au cœur même de l'impropre de ce qui les rend étranger en eux-mêmes, à eux-mêmes. Le nom commun du Bien n'apparaît ni comme l'utopie d'une communauté des hommes sans inconscient, ni comme l'utopie d'une société qui aurait renoncé à la question dogmatique du Texte, de la Loi, du Droit (Pierre Legendre) ou à celle plus récente qui émerge dans nos cultures gréco-chrétienne, les multitudes du socius libérées par l'intelligence collective (Pierre Lévy). Le mal est bel et bien absence, privation, manque de ce qui donne consistance imaginaire puis réelle (la méchanceté) au Mal sous trois formes parfaitement repérées par la génération lacanienne :
- le simulacre (être fidèle terrorisant d'un faux événement)
- la trahison (céder sur une vérité au nom de son intérêt)
- le forçage de l'innommable ou le désastre selon Blanchot (croire que la puissance de la vérité est totale ).

Si, depuis Socrate puis Freud, l'éthique se mesure aux conséquences de l'acte et non à ses bonnes intentions au demeurant chaque fois punies, surmonter l'indécision, supporter la dé-cision, la coupure, la castration, le rien au coeur de toute division (Spaltung) de l'être, du sujet, du désir, sera la vraie condition de l'éthique. C'est toujours la conjonction du Désir et de l'Ethique pour un sujet qui, de la traînée du réel, nous laissera seulement l'ombre du Mal afin que, sans presser le pas, le bref éclat de la vie soit juste avec nous, juste avec nous pour l'Autre.


J.L. Blaquier  Enseignant en philosophie, psychanalyste. E-Mail  jealier @ wanadoo.fr

Notes:
LACAN, J, E., ibid, p. 335.
Le temps de savoir Revue de psychanalyse La Cause Freudienne Navarin, Seuil, avril 2000. Cf. L'article de Marie Hélène Briole. <<L'orientation lacanienne>> : " Le temps de savoir. "
Badiou Alain L'Ethique (Essai sur la conscience du Mal) Hatier1993.