"Nothing
in the universes can resist the converging ardour of a
great enough number of united and organized
intelligences." Teilhard de Chardin.
"Je suis bouleversé non pas que tu me mentes
mais que je ne puisse plus te croire " Nietzsche.
Il est possible de décliner les figures du Mal presque
à l'infini (le crime, l'inceste, la folie, index de
l'insensé, le viol, la torture, la canaillerie, l'idolâtrie,
la maladie, le mal-à-dire, la haine, l'injuste misère,
la merde, le cadavre, la cendre, le désordre, l'abîme…).
Un des axes le plus souvent impensé de ce clinamen réside
dans le fait que cet agencement concerne le Mal/Aise
dans la civilisation au sens de Freud et au cœur du
collectif, des sociétés, de l'histoire ….
La bêtise par exemple n'est pas simplement un fait du
sujet, l'inintelligence collective est souvent synonyme
d'irruption de la sauvagerie voire de la barbarie sous
la mince pellicule de la civilisation. En ce sens, le
discours du droit sur la responsabilité est le préalable
distinct de toute éthique et au sens de Spinoza, de
toute doctrine du bonheur.
Loin de toutes conceptions naïvement progressistes ou
linéaires du progrès, le XXè siècle nous a néanmoins
enseigné qu'il y avait un terme ultime dans la ruine du
Bien : la Shoah. Au point ultime de la déclinaison du
scandale du Mal et son cortège d'opacités :
souffrances, humiliations, aliénations,
asservissements, culpabilité et honte, angoisse et tout
puissance narcissique… c'est notre finitude temporelle
fondamentale qui se trouve mise en question: l'être-vers-la-Mort.
Auschwitz est désormais notre point d'Archimède en ce
qui concerne la question éthique puisque la déraison,
le " sans pourquoi " de la beauté des roses
s'applique désormais aussi bien à la beauté de la
nature qu'à la réalité inoubliable de tous les
cadavres d'enfants que l'Histoire a charrié.
Depuis la Shoah, "les mots sont blessés" dit
un poète E. Jabès. La philosophie ainsi convoquée sur
la page la plus noire de l'éthique interroge l'énigme
de la méchanceté à partir d'un roc phénoménologique,
le " sérieux des intentions " ce rare et donc
précieux " mouvement " du psychisme juste
avant la nappe de l'inconscient découvert par Freud.
Mais le crime absolu, le crime ontologique interpelle,
un autre sérieux, le savoir du psychanalyste qui,
miroir possible de toutes les détresses, met en évidence
le sériel de la structure. Si le " sérieux, ce ne
peut être que le sériel" c'est parce qu'il creuse
au centre de l'acte analytique, la maintenance du
"quelqu'un".
Une question préalable :
la
soutenance éthique du Nom peut-elle se faire sans la
fondation philosophique des Droits de l'homme et des
devoirs de l'homme? Nuremberg, avant le procès
d'Eichmann à Jérusalem, constitue le lieu juridique hâtif
mais emblématique du premier espoir (le Droit
International) devant le ravage du " Mal "
absolu : le discours du droit qui prélève toujours sur
l'Autre, un Tiers séparateur de l'homme avec lui-même.
Cet espoir n'est pas seulement le <<non>> du
Père à la jouissance de l'Autre, ni même un des
Noms-du-Père, mais déjà la forme " world "
de la philosophie qui, depuis l'envoi de sa fondation
grecque, ne cesse d'orienter la praxis des hommes et le
sens de leur vie. La grâce du Nom, du transfert sur le
Nom, du transfert, tout court, accueil du désir de
l'Autre, déploie la nomination comme la vie elle-même,
la vie de l'être, lettre dont les blancs, les silences
ouvrent l'habitation de l'habitation de l'abîme, le
survol provisoire du gouffre du temps par où le pire,
paysage sans nom du tragique, advient toujours.
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