"La
véritable destination de l'homme est d'être un planétaire,
participant activement à l'intelligence collective"
(Italique, je souligne)
De
Socrate à Freud, les hommes ne cessent d'interroger la
corruption génératrice de la douleur, de la souffrance
comme autant de miroirs ou masques posés sur la fragile
vérité de leur condition parlante ; parlante et donc désirante.
Lacan a su condenser ces deux termes essentiels au
centre de l'enquête philosophique sur le
nouage de l'éthique et de l'infini: " l'être
" et le " désir " : le " parlêtre
", si tant est que la marque du désir provient du
don, suppose la promesse, la responsabilité pour
l'autre, un lien de parole dite et donnée. Tout sujet
présente son désir vers l'autre par un don de parole
qui touche à l'impossible de l'amour comme don du temps
et à l'initial d'un Pour Autrui.
Démasquer ironiquement avec Socrate, selon la voie de
la maïeutique, les semblants, les faux-semblants,
laisse entière la nécessité de démasquer le réel,
l'incidence du sexuel dont se lève la découverte de
Freud afin de délier les sortilèges de ce qui au cœur
du désir est occasion insistante de malaise, de
souffrance, au-delà de tout plaisir partageable. Le
bonheur apparaît comme l'utopie d'une communauté des
hommes sans inconscient, de même que la transparence du
Mal (Baudrillard) est le Mal lui-même en personne :
personne! L'anonymat, page noire de la personne, lieu
natal de l'hystérie et du premier mensonge, absence de
la "nudité du visage" (Lévinas) est le
masque de toutes perversions, source de toute lâcheté,
de toute puissance narcissique, mégalomane, infantile,
absence de frontière entre les singularités du
collectif et la singularité dans le collectif.
La scandaleuse mort de Socrate dans l'écrasant silence
de la jeune démocratie athénienne n'est-elle pas relevée
mais également contredite par le désir aristocratique
de Platon, fondateur sans pareil de l'Académie, ce que
Lacan nomma le discours universitaire, au centre de la
crise culturelle européenne. L'affaire Heidegger en témoigne
puisque son erreur " irrtum " et sa débilité
" dummheit " procède d'un constat terrible :
croire que le discours universitaire peut piloter le
Politique. Le désir de Freud, d'interroger le désir,
la mort du désir, le désir de mort, la pulsion de mort
qui dans le fond est mort de la pulsion fait écho par
contre, presque par contretemps au désir inaugural de
Socrate. Celui-ci reste en attente d'une impossible relève,
d'une lettre en souffrance dont seul Freud accuse réception
en orientant la vérité du sujet dans le croisement inédit
d' une temporalité qui tisse au " un par un
", l'universel du sujet et son rendez-vous avec
l'unicité, la singularité de son nom propre. Le Mal ne
se présente-t-il pas comme l'éternel retour de la
figure grimaçante, anonyme du Réel que les méchants,
nos modernes pervers, prétendent toujours sauver? Faire
pleurer le Réel est une issue possible. A cet égard,
le film de Cronenberg, Crash, résume le credo,
contemporain, par simple monosyllabe, de l'analphabétisme
des méchants qui confine à l'amour de la haine : jouir
de la douleur, du désir de mort lui-même. La confusion
de l'orgasme avec un Crash automobile, simple accident
technique… fait chuter l'idéal même de tout idéal.
Heidegger, malgré ce qui resta innommable pour lui, la
Shoah, interroge, dans Qu'appelle-t-on penser ? aux
abords du Nulle part, la plus terrible détresse comme
" détresse de l'absence de détresse ".
Le réel en psychanalyse atteste le verdict socratique :
parole et langage ne peuvent dire la vérité totalement
; il y a un reste, le trajet imparlable de la pulsion,
l' objet a qui commande le destin du sujet désirant
dans l'existence. Aucun autre théâtre que celui d'une
cure analytique peut en déjouer les chicanes. La résistance,
non de la philosophie mais des philosophes, au seul nom
de Freud ou de Lacan, à la psychanalyse, trace ou
reproduit à son insu, les limites exactes de la parole
ou du langage face à ce qui dans la vie du Logos ou de
la Nature résiste à la mort elle-même. Les travaux de
J. Derrida, par exemple, pointent, la question des
questions celle d'un transfert, d'un envoi, inévitable
lettre en souffrance du nouage destinal de l'être et de
l'amour autour de l'énigme du phallus, de
l'identification du non-être et du Mal, brillance
phallique désappareillée du montage paternel qui fait
métaphore pour l'orientation du sujet désirant.
Notes:
Levy Pierre, La world philosophie, Paris, Odile Jacob,
2000. " Le manifeste des planétaires " p. 47.
Cretela Henri "Heidegger à Cerisy" in
L'excellence de l'enseignement Hommage à François
Vezin Paris L'Harmatatan, 2000. |