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Ortega y Gasset philosophe de l’Histoire

par Charles Cascalès, agrégé de philosophie,
auteur de ‘L’humanisme d’Ortega y Gasset’, PUF,1957

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I- La philosophie d'Ortega y Gasset (suite)

  • b) La pensée humaine. 

Qu'est-ce donc que la pensée ? demande Ortega dans Apuntes sobre el pensamiento (1941). À cette question, on a répondu par la description des mécanismes psychiques qui entrent en jeu quand l'homme se met à penser (percevoir, comparer, abstraire, juger, généraliser, déduire); ou bien en évoquant la dimension logique de la pensée (sa liaison aux principes d'identité, de non-contradiction ou du tiers-exclu). Ce sont là, pour Ortega, des "occultations de la pensée", c'est-à-dire des caractères de l'expérience humaine de la pensée qui ont bien quelque chose à voir avec la pensée, mais sans se confondre avec elle. Et l'occultation la plus insidieuse, le masque le plus inapparent qui nous voile l'être même de la pensée est la connaissance. Les Grecs ont inventé un mode de pensée qui consiste à présupposer que derrière le chaos apparent se cachent des formes stables et fixes, l'être des choses, et que cet être est en affinité avec l'intelligence humaine. Avant même de se constituer, la connaissance est déjà une pensée de l'être, une opinion déterminée sur la réalité. Mais la connaissance a seulement consisté, depuis les Grecs et jusqu'à présent, à tenter de solutionner le mystère de la vie au moyen des concepts et des raisonnements, à l'aide des essences et de la dialectique.

En fait, " est pensée tout ce que nous faisons pour sortir du doute dans lequel nous sommes tombés et parvenir de nouveau à être dans la certitude". Mais les formes revêtues par la pensée sont toutes datées : elles sont autant de façons différentes de chercher à savoir à quoi s'en tenir sur le monde. L'évolution de la théorie déductive (1947, traduction française 1970) développe le tableau de ces méthodes ou chemins de la Pensée, en distinguant, à côté de la superstition qui représente l'absence d'interprétation d'ensemble de la réalité et ne traduit que la stupéfaction de l'homme, la magie qui est une interprétation non-explicative ou pratique, et le mythe qui est la première interprétation explicative du monde par l'homme. Le mythe n'est pas un genre littéraire : " il est une méthode intellectuelle qui "forme" le Monde dans lequel un peuple vit durant des millénaires. " Le propre de cette méthode est de consister en une pure invention fantastique provoquée par un phénomène exceptionnel, un événement faisant naître une émotion : Ce qu'il y a de commun à la religion, au mythe et à la poésie (celle d'Homère, par exemple), c'est d'être des interprétations purement imaginaires. 

Au contraire, philosophie et science dessinent une orientation ultérieure de cette "fonction essentielle de la vie qu'est l'interprétation de l'univers." Ce n'est plus une modalité émotionnelle et imaginaire mais sensorielle et conceptuelle de la pensée. Et ces activités, religion, mythe, poésie, philosophie, science ne représentent pas des possibilités permanentes de la nature humaine : elles constituent "une succession inexorable que l'homme traverse à des dates déterminées", car il n'y a pas de nature humaine. La pluralité des cultures et l'irréversibilité de leur déploiement sont irréductibles : c'est l'homme même qui change, qui se change, qui se crée lui-même.

Ainsi la théorie des croyances, en identifiant dans l'ontologie une interprétation déterminée et singulière de la réalité comme ' être intelligible ", débouche dans une théorie de la vie qui ne prendra elle-même toute sa stature qu'avec la théorie de l'histoire.

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