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Ortega y Gasset philosophe de l’Histoire

par Charles Cascalès, agrégé de philosophie,
auteur de ‘L’humanisme d’Ortega y Gasset’, PUF,1957

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III Histoire, changement et crises (suite)

B) Changement et crise.

a) Changement dans le monde et changement du monde. Reprenant à son compte la célèbre distinction saint-simonienne entre les époques organiques et les époques critiques, Ortega oppose aux siècles d'or, qui correspondent à ce qu'on appelle en général les âges classiques, les périodes de crise, qu'il différencie par ailleurs des périodes normales.' Le siècle d'or, que ce soit celui de saint Thomas ou de Descartes, est une époque pendant laquelle l'homme sait à quoi s'en tenir sur les problèmes essentiels qui concernent sa vie et parvient à les résoudre. Ce qui caractérise les périodes normales, c'est que le monde qu'elles ont hérité du siècle d'or qui les a précédées ne subit que des modifications de détail tout en perdant progressivement de sa solidité. En revanche, dans les périodes de crise, l'ordre ancien s'écroule, l'homme n'a plus que des convictions négatives, il sombre dans le désarroi.

Il y a donc deux formes de changement historique : un changement qui survient dans le monde de l'homme, et un changement du monde lui-même. Ainsi l'innovation intellectuelle représentée pas la révolution copernicienne ne détermine initialement aucun changement : le livre De revolutionnibus orbium coelestium passe inaperçu en 1543, et c'est seulement avec La cena delle ceneri de Galilée, en 1584, que cette nouvelle conception bouleverse l'image du monde. C'est qu'entre temps les sciences ont été valorisées: après Vives, Servet, Viete, G. Bruno la foi dans la science est devenue possible, Galilée et Kepler trouveront une audience. Au contraire, la situation est toute différente quand le monde change : vers 1600, par exemple, l'homme européen opère un virage radical au cours duquel une nouvelle forme de vie, un homme nouveau, l'homme moderne, surgissent. Au Moyen-Age, l'horizon vital est distinct de la perspective de la
science. A l'époque moderne, elles sont confondues : cette fusion, c'est en toute rigueur, l'Age moderne, représenté par Galilée et Descartes. Et c'est l'époque traditionnellement dénommée Renaissance qui est la période de crise précédant la véritable renaissance de l'homme européen, l'avènement de la modernité. Aussi a-t-elle été avant tout un temps de confusion.

"La confusion est inhérente à toute époque de crise. Car, en définitive, ce qu'on appelle "crise" n'est que le fait pour l'homme de passer d'une existence attachée à certaines choses et appuyée sur elles à une existence attachée à d'autres choses sur lesquelles elle s'appuie. Le passage consiste donc en deux rudes opérations : d'une part, se détacher de la source où s'alimentait la vie -n'oublions pas notre vie vit toujours grâce a une interprétation de l'Univers d'autre part ' se mettre en mesure de s'attacher à une nouvelle source de vie, c'est-à-dire s'accoutumer progressivement à une autre perspective vitale, s'habituer à considérer d'autres choses et à s'en remettre à elles. ( .. ) Et ce n'est pas parce que le fait s'est répété plus d'une fois dans l'histoire que notre surprise s'atténuera en voyant l'homme contraint périodiquement de secouer sa propre culture et de s'en dépouiller."

La question qui se pose est donc de savoir pour quelles raisons une culture cesse de satisfaire une génération, pourquoi un système de croyances ne peut être définitif. Si le moteur de l'histoire est le changement idéologique, pourquoi y a-t-il des crises?

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