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Ortega y Gasset philosophe de l’Histoire

par Charles Cascalès, agrégé de philosophie,
auteur de ‘L’humanisme d’Ortega y Gasset’, PUF,1957

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I- La philosophie d'Ortega y Grasset

L'orientation philosophique d'Ortega est définie dès 1923, dans son livre El tema de nuestro tiempo, comme ratiovitalisme : la tâche de la philosophie est désormais de transformer la raison pure en raison vitale. 
Le noyau ou la clef du système ortéguien ( "Le système est l'honnêteté du Penseur," soutient-il à l'encontre de Nietzsche) est son ' idée de la vie comme réalité radicale et de la connaissance comme fonction interne de notre vie. " À la suite de Kant, Ortega entend dépasser à la fois les positions réalistes et idéalistes. Commentant la parole de Hegel selon laquelle la raison déterminée est la chose, Ortega exprime clairement son projet en écrivant qu'il ne s'agit de rien de moins que de la désubjectivation de la raison. Ce n'est pas là retourner au point de vue grec, mais l'intégrer à la modernité, unir dans une synthèse Aristote et Descartes, et, en les unissant, échapper à l'un et à l'autre. "C'est à la vie entendue comme racine et de la Res et de l'Idea qu'Ortega ramène également le devenir historique. Jetons donc d'abord un regard sur l'ensemble du système.

  • A) La théorie de la connaissance

a) Idées et croyances. Sous le titre Ideas y Creencias (1940), Ortega a publié ce qui devait être le premier chapitre d'un ouvrage plus vaste, Aurore de la raison historique, et où il esquisse la conception du savoir qui sous-tend sa réflexion philosophique. Il y distingue fondamentalement les idées-occurrences, idées que conçoit un individu déterminé, et les idées-croyances, lesquelles, loin de venir à l'esprit de cet individu, représentent pour lui la réalité même. Les premières apparaissent comme de simples pensées; les secondes possèdent tous les caractères de la réalité. À notre insu, nous vivons avec de telles croyances qui fondent véritablement notre penser, notre agir, notre sentir. Nous concevons ou produisons les idées ; mais ce sont les croyances qui opèrent en nous: "ce ne sont pas des idées que nous avons, mais des idées que nous sommes. "Les croyances ont d'ailleurs une vie propre et passent par trois stades successifs: foi vivante, foi inerte ou morte, doute (1). Le doute appartient en effet à la même région de notre être que la croyance: il est une façon déficiente de croire, mais il n'est pas une absence de croyance. Au contraire, nous sommes dans le doute quand deux croyances incompatibles s'opposent en nous.

Mais ce que la théorie ortéguienne souligne avant tout c'est qu'il n'y a de croyances dans le sens plein du mot que collectives. En tant qu'individu, je peux parvenir à être pleinement convaincu ou persuadé de la vérité d'une idée, d'un jugement: mais j'ai conscience des raisons ou des motifs qui fondent mon opinion, ma pensée. Au -contraire, la croyance me présente le monde sous un jour qui est pour moi la manifestation même de la réalité. La lune est une Déesse ou bien un satellite: ce n'est pas une affaire de conviction ou d'opinion, mais d'ethnie et de civilisation. Quand nous croyons véritablement en quelque chose, nous ne cherchons pas les raisons de cette foi - cela reviendrait à nous poser des questions et la croyance est précisément ce qui pour nous est incontestable. Mais il n'est pas possible de tenir pour incontestable ce qui est contesté : voilà pourquoi la croyance, contrairement à l'idée, ne peut être que collective. Dès le début de notre existence, elle nous est inculquée par la société à laquelle nous appartenons, et, parvenus à l'âge adulte, nous ne pouvons plus la dissocier de notre être. Aussi la croyance ne requiert-elle ni preuves ni motifs. On peut changer d'idée comme on change d'outil ou de vêtement.
Mais on se trouve enfermé dans la croyance comme par magie, sans y être entré, puisqu'elle est pour nous la réalité même.
La théorie des croyances met donc en jeu une définition de la connaissance comme interprétation:

"Aucun monde n'est donné tout fait à l'homme. Seules lui sont offertes les peines et les joies de la vie. C'est sous leur conduite qu'il doit inventer le monde. La majeure partie de ce dernier, il l'a héritée de ses aînés et c'est elle qui agit sur la vie comme un système de croyances solidement établies. Mais chacun doit s'expliquer pour son propre compte avec tout ce qui est douteux, tout ce qui est en question. C'est à cette fin qu'il essaye des figures imaginaires de mondes et s'enquiert de sa conduite possible en eux. Parmi elles, l'une lui semble idéalement plus consistante et c'est ce qu'il appelle la vérité. Mais il n'en demeure pas moins que le vrai, et même ce qui est scientifiquement vérifié n'est qu'un cas particulier du fantastique. Il est des fantaisies exactes. Qui plus est : seul ce qui est fantastique peut être exact. Il n'y a pas moyen de bien comprendre l'homme si l'on ne remarque pas que la mathématique jaillit de la même source que la poésie, le don d'imaginer."

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