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La psychanalyse

L'antiphilosophie de J. Lacan, par J-L Blaquier

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 Le trou dans le Miroir absolu (Dieu)  et le trou dans le Réel (Jouissance)

L'antiphilosophie clinique n'est-elle pas le degré zéro d'un sujet non philosophique produit par une clinique dont le seuil de gravité est l'énonciation jusqu'au moment où le signifiant heurte " le trou " du réel, littéralement "hors sens" ?

Le psychisme inconscient est hypothèse nécessaire (Freud) en sa réalité discontinue, table vivante de signifiants toujours à contretemps du régime métaphysique, du rapport de l'être représentatif de l'homme au monde par le détour des mots, des propositions où se tresse sur un mode impermanent la flèche entropique de la mort sur le fond figural, spiralé de la vie. Si la proposition de Schopenhauer : " Le monde est ma représentation " a regroupé la pensée, le sujet en sa facture moderne, la division archivale, analytique du sujet à l'objet-cause du désir vient faire " terre ", à la lettre de l'inscription matériale - motériale - du signifiant, par quoi le sol du sujet de la représentation inconsciente se constitue. Le rêve, voie royale du degré zéro de la volonté et du monde comme représentation est déjà là ; c'est pourquoi le réel est interprétation ici ! 

4. Schopenhauer, dans son célèbre aphorisme comparant la société humaine à une association douloureuse de porcs-épics, a sans doute pris la mesure de continent freudien de cette mise à zéro de l'essence représentative du psychisme humain.
La découverte de l'inconscient, discontinuité énigmatique de la vie psychique ne peut réintroduire à aucune transcendance de type métaphysique déjà constituée, par quoi, sous le prétexte de l'amour (du Père), la religion fait lien social (E. Durkheim, M. Mauss) sous la forme d'une thérapie sociale qui se formulerait d'un " Tu dois céder sur ton désir ". 

Se désister de l'Autre, selon la formule de René Major, est un des envois de la finitude ontologique marquant la constitution néoténique de la condition humaine, biologique, institutionnelle et subjective, et suscitant plutôt le dépassement nihiliste de la question de l'Autre comme réserve totalisable de l'Etre de l'étant. Le sujet de la philosophie et de la psychanalyse est le même en ce qu'il est déjà toujours une construction, un procès symbolique, imaginaire qui noue le réel de la biologie à la loi du signifiant de l'Autre. Dès sa naissance, le premier cri du sujet suppose, s'adresse, se représente le zéro positivable de son ex-sistence face à l'Autre qui l'accueille au monde en le nommant. Le sujet zéro logique est le virtuel de l'inconscient, car son chiffrage par l'interprétation structure son actualisation d'un " après-coup " toujours sidérant au regard du statut classique du sujet où la pensée domine, maîtrise le sens et la signification de l'énoncé. Le lieu le plus pur de l'antiphilosophie réside dans le périmètre du sujet de l'énonciation, procès qui, tel le vrai, est toujours neuf, intempestif. Le coup de marteau nietzschéen est le moteur silencieux de l'inter-dit par quoi le signifiant vivant de la parole accède à la lettre, à l'écrit de la différence pure et de la répétition pure, à l'envoi, à la destination. Une destination dont la finalité dans l'autre n'est jamais garantie, pour personne et pour nulle part. Telle est aussi la dimension tragique de l'a-théologie dont l'antiphilosophie est un des noms cliniques.

Quelques jalons de ces points de réel nouent le sujet à la vérité à l'intérieur de l'événement de l'histoire de la philosophie, du fait de la nouveauté de la psychanalyse. Notons que l'impossible du métalangage (Pas d'Autre de l'Autre) et " l'antipathie des discours " (le discours analytique : voie de sortie du discours du maître) tissent entre philosophie et psychanalyse un lien riche d'ambiguïtés et d'équivoques, ce que nous appelons au cœur du Malaise un espace antiphilosophique strié suscitant l'ensemble de la production culturelle (art, littérature, droit, politique, économie, sciences, techniques....). En effet, ce mode nécessairement disjonctif reste à penser comme tel, c'est-à-dire dans l'espace onto-égo-théologique de ses paradoxes. 

La politique de la psychanalyse peut y trouver les éléments de son dispositif critique dès lors qu'elle n'oublie pas que la pratique discursive dont elle s'instruit, instruit également la fonction énonciative, point archéologique du savoir qui, sans précéder toute science et toute théorie, est toujours déjà plus actuelle que la production d'énoncés : concepts, graphes, mathèmes par exemple. " L'archive nous déprend de nos continuités ; elle dissipe cette identité atemporelle où nous aimons nous regarder nous-même pour conjurer les ruptures de l'histoire ; elle brise le fil des téléologies transcendantales ; et là où la pensée anthropologique interrogeait l'être de l'homme ou sa subjectivité, elle fait éclater l'autre, et le dehors ". 
Mathèmes, notamment le manque de signifiant dans l'Autre, par quoi le discours analytique se libère de la philosophie.
La découverte clinique de l'inconscient n'épuisera pas la dimension critique, ³insondable², en sa "décision de l'être" qui se loge, se rassemble dans la double question contenue dans le terme amour.

5. Qu'est-ce que penser ? 

6. Qu'est-ce que désirer ? 

Ces deux questions antithétiques interrogent l'amour comme rencontre, coïncidence nécessaire de plusieurs séries de singularités que chaque être porte nécessairement selon les signifiants de ce qui, dans la structure, relève de la répétition.

7. Cette double question redoublée par un double adresse ne revient-elle pas à interroger en fait, au cœur du dispositif analytique, les espaces de traduction, de translittération selon la Règle freudienne d'une " libre " énonciation ? 

Il y aurait comme un passage abyssal, toujours in-certain entre ces trois verbes ontologiques : aimer, désirer, penser, points de bascule de passage, de partage entre la philosophie et la psychanalyse. "Etre" et "Autre" communique par l'étroit chenal du vide au cœur du symbolique, du signe, du Logos : aucune traduction n'est possible, mais cet impossible qui requiert la métaphore, la fiction langagière ne cesse de hanter sur un mode réaliste, le principe de ces deux discours, entre sagesse et folie. Et d'abord, traduction questionnante de la différence de l'Etre et de l'étant, à l'œuvre du " penser " et du " désirer ", tant dans le champ clinique de la folie, que dans le champ critique de la sagesse.

Ainsi, Parménide écrit :
³Il faut dire et penser que ce qui est ; car ce qui existe existe, et ce qui n'existe pas n'existe pas : je t'invite à méditer cela.²
³Tu ne forceras jamais ce qui n'existe pas à exister². 

Les mots ne font que cela, tant la magie, la religion, la sidération de l'Autre qui existe substantialisent dans le sujet ce qui par le déterminisme signifiant est appelé seulement à faire itinéraire, déplacement, trajet, envoi. 

Un abîme onto-analytique de Démocrite, Parménide, Héraclite à Nietzsche ou Lacan, de Freud à Heidegger reste à scruter. Tel le ciel invisible des philosophes qui, du nuage matinal et originaire du refoulement, naissance déchiré d'Eros va à Thanatos, écart maximum issu du Logos avec l'irréversible cascade ou clinamen des pulsions (sexuelles) issue de la rencontre, en l'homme, ce monstre privé de sens, avec Bios, avec la Phusis.
La définition lacanienne du signifiant et le ressort général du transfert relèvent-ils en leur premier envoi de l'allégorie démocritéenne du clinamen, chance d'un écart maximum aux pulsions de mort, coulisse géante de ce grand théâtre tragique que l'inconscient figure jusqu'aux limites de l'(in)humain: Shoah ! La Shoah comme limite absolue franchie de l'inhumain ? Ce signifiant absolument singulier du " crime ontologique " est une des versions nihilistes du crime légal qu'un État peut commettre en son désir fou d'autofondation. Désormais la logique des réseaux, celle de la psychanalyse ou celle de la cyberculture est convoquée dans la nouvelle démocratie issue du découplage de l'État et de la Nation. Ce découplage est aussi une nouvelle conséquence de la présence du discours analytique dans la Cité. Une présence qui en sa virtualité offre au tragique de se débarrasser de " l'offrande aux Dieux obscurs " en proposant le don du symptôme à un Autre dont nous pouvons savoir qu'il n'existe pas.

Après la mort de Dieu, celui des trois monothéistes, après la Shoah, nous devons réinventer le rapport à la vie, au langage, à la pensée, au désir. Socrate et Freud nous y aident : l'un avec l'autre, l'un contre l'autre. Quelle nouvelle communauté va-t-elle rendre possible de ce dialogue infini qui s'ouvre devant nous ?

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