° Rubrique Droit et Justice 

DROIT et JUSTICE par Jean Jacques SARFATI 

 jean-jacques.sarfati@wanadoo.fr

Les sphères de Justice de Michaël Walzer  Critiques et propositions d'interprétation  par Jean Jacques SARFATI 

Pages:  1 - 2 - 3 - 4 - 5 - 6 - 7 - 8 - 9 - 10 - 11 - (Notes)

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Première critique de la thèse walzérienne

Des auteurs comme Norman Daniels, proches de John Rawls, se sont penchés avec plus de détail sur le travail de Michaël Walzer afin de lui apporter une contradiction plus argumentée.
Qualifiant d'emblée la thèse walzérienne de relativiste, voire considérant que Walzer serait ainsi susceptible par sa vision « locale» de la justice de justifier le régime d'appartheid d'Afrique du Sud, Daniels formule deux critiques majeures au travail de Michaël Walzer.

Pour la première critique, la thèse walzérienne serait effectivement irréaliste sous couvert de pragmatisme car, selon Daniels, il est peu plausible de soutenir qu'il n'existerait pas de hiérarchie entre les différents biens sociaux.

Il prend ainsi le cas de la santé pour illustrer sa démonstration (22). Selon Daniels, Walzer prétend soutenir qu'il faut faire une distinction entre la sphère de la santé, celle des emplois publics ou de la reconnaissance.

Cependant - pour que les emplois publics soient accordés aux plus méritants - comme le souhaite Walzer et ainsi que le rappelle Daniels, il convient que la personne qui passe les examens soit en bonne santé. Or, si aucune instance supérieure ne permet d'assurer la juste répartition de ce bien que reste la santé, seuls ceux qui pourront avoir accès à un système de soin élaboré et performant pourront disposer des meilleurs emplois publics.

La santé est donc un bien premier et - que Walzer le veuille ou non - sa possession entraîne celle d'autres biens. Mais ici, Daniels confirme que cette critique de la démarche rawlsienne peut éventuellement être éludée par ce dernier et ce pour deux raisons:

- en premier lieu, il convient de noter que si Walzer souhaite une autonomie des sphères, il n'a pas tout à fait ignoré la question de leur lien. Même si cette question n'est pas essentielle dans son travail, elle apparaît. En effet, notre auteur n'a pas manqué d'écrire:

"ce qui se passe à l'intérieur d'une sphère distributive affecte ce qui se passe dans les autres; nous pouvons rechercher tout au plus une autonomie relative» (23).

- en second lieu, comme l'exposé plus avant a tenté de l'indiquer, ce qu'entend promouvoir Walzer n'est pas l'idée d'une société qui ignorerait le lien nécessaire entre les sphères mais la domination de l'une par l'autre et la tyrannie.
Pour reprendre l'illustration, offerte par Daniels, on peut supposer que, par exemple, ce que souhaite éviter Walzer c'est qu'au nom du seul caractère primordial de la santé, les médecins s'emparent de tous les pouvoirs dans l'ensemble des sphères de la société en mettant en place des mécanismes qui introduisent par exemple la santé au coeur de l'économie, de la politique ou du droit.

Malgré cette faiblesse, la critique de Daniels a le grand mérite de mettre en évidence une faille réelle du projet walzérien qui est à la fois l'insuffisance de réflexion sur la question de l'autonomie dite relative des sphères et le lien que ce dernier refuse d'opérer entre la justice et une certaine forme d'inégalité, voire de hiérarchie entre les biens, ou entre les personnes que le projet rawlsien problématise en revanche plus profondément.

L'égalité complexe de Walzer paraît exclure toute idée d'inégalité « simple» et en ce sens, elle est sans doute irréaliste. Nul ne peut vivre justement ou selon l'autonomie de sa propre volonté, en accord avec les sphères qui lui correspondent, s'il n'a pas en premier lieu accès à ces biens premiers minimums que sont le logement, la nourriture saine et la santé.

De même, nous paraît-il délicat de soutenir qu'il n'existe pas dans toute société des sphères qui dominent et englobent les autres. Certes le projet walzérien est d'exclure la tyrannie plus que l'inégalité. Cependant il pense et admet le pouvoir à l'intérieur de la sphère et ignore la question du pouvoir d'une sphère sur une autre, assimilant celui-ci nécessairement à un abus de pouvoir.
Ne peut-on cependant penser que certaines sphères puissent être premières par rapport à d'autres et dans le même temps exiger que ces sphères premières ne soient en rien tyranniques, c'est-à-dire qu'elles n'abusent pas de la primauté qui leur est accordée pour «envahir» les autres sphères? 

En prônant cette logique de 'séparation «pure» des sphères, Walzer n'est-il effectivement pas trop « protestataire» et ne tend-il pas à confondre trop volontiers pouvoir et abus de pouvoir? Ne peut-on admettre le pouvoir d'une sphère sur d'autres, ou l'inégalité d'une sphère par rapport aux autres, sans penser nécessairement que cette inégalité conduira à la tyrannie?

N'y a-t-il pas place entre la tyrannie - que craint Walzer - et la séparation pure et simple - que notre auteur préconise précisément pour éviter cette tyrannie - pour une troisième logique: celle d'une collaboration/séparation harmonieuse entre les sphères même inégalitaires ? Par « a priori », Walzer n'exclut-il pas trop volontiers cette troisième voie et sa philosophie n'est-elle pas limitée du fait de cette exclusion injustifiée?

Daniels formule une seconde critique à Walzer à qui il reproche d'être "internaliste".

Il note en effet, avec raison, que si l'on suit la thèse de Walzer, il devient difficile, voire il est inadapté « d'utiliser une justification si elle n'est pas acceptée par le « social meaning », la compréhension partagée, des êtres appartenant à la sphère du bien convoité. (24)
Or selon lui, il s'agit ici d'une régression. car elle signifie implicitement que « /'on ne peut remettre en cause notre manière d'appréhender la distribution des biens dans une société» (25), donc qu'il nous devient malaisé de comprendre les idées étrangères aux nôtres et contrairement au principe rawlsien, il nous devient ainsi presque inutile de nous abstraire de notre milieu d'origine pour progresser, grandir et envisager des conceptions du monde différentes de celles dans laquelle nous évoluons.

Cette critique est importante. Elle met en évidence l'un des nombreux périls du communautarisme. Cependant, Daniels ne peut tout à fait nier que les influences historiques et les réalités d'une organisation de notre monde en de mUltiples sphères existe et qu'il serait illusoire de vouloir les ignorer.

On ne résout pas une difficulté en refusant de la prendre en considération. Aussi, s'il nous paraît juste, comme Walzer le sous-entend de considérer que l'on ne résout pas les problèmes posés par le réel en nous laissant aveugler par l'idéal, il nous semble regrettable, comme le soutient Daniels, d'oublier notre idéal-celui-ci pouvant être une justice pour tout un chacun sur cette terre - pour la simple raison que le réel est complexe et que la notion même de justice reste fluctuante et relative.

Vers la page suivante - La question de la justice sociale et la puissance de la convention

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Copyright Jean Jacques SARFATI jean-jacques.sarfati@wanadoo.fr professeur de philosophie en région parisienne, juriste et ancien avocat à la cour d'Appel de Paris

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