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Rubrique Droit et Justice
DROIT
et
JUSTICE par Jean Jacques SARFATI
jean-jacques.sarfati@wanadoo.fr
Les
sphères de Justice de Michaël Walzer Critiques
et propositions d'interprétation
par Jean Jacques SARFATI
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- (Notes)
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Si Walzer a démontré fort
brillamment que la séparation des sphères était une condition nécessaire
de la justice, il s'est trompé en considérant que cette séparation était
une condition suffisante pour permettre d'aboutir à cette réalisation.
Il convient à présent d'étudier les critiques conjointes que P. Engel
et W. Kymlicka ont pu faire de la proposition walzérienne.
3)
Will Kymlicka reproche à Walzer de ne pas protéger suffisamment les
minorités à l'intérieur des communautés ou des sphères.
Si la société est
composée de sphères pourquoi en effet ne pas également considérer que
chaque sphère elle-même est un composé de plusieurs sphères, elles-mêmes
composées d'autres sphères et ce - dans une logique leibnizienne - à
l'infini jusqu'à une vision monadique de la sphère et, en ce cas:
comment assurer la protection de ces sphères minoritaires?
Walzer ne répond pas à cette question implicitement posée par Kymlicka
(2B).
Ce dernier est rejoint dans sa critique par Pascal Engel qui s'interroge
sur la protection des individus qui seraient en rupture avec la thèse
majoritaire dans la communauté. La thèse walzérienne est également
silencieuse sur ce point.
En effet - et pour reprendre une exemple que Walzer a évoqué - chacun
sait que si les communautés juives médiévales étaient intéressantes
en bien des points elles se trouvaient parfois en situation d'exclure
certains de leurs membres qui ne partageaient pas nécessairement
l'opinion communautaire. Spinoza en a fait l'expérience.
Comment donc assurer la cohésion d'un ensemble minoritaire pour éviter
la tyrannie sociale sans que la dite minorité ne devienne elle-même
tyrannique?
Sur le fond, ces critiques nous paraissent devoir mettre en évidence une
autre faiblesse essentielle de la thèse walzérienne. Elles posent
implicitement la question de savoir s'il est possible de fonder une théorie
de la justice sans penser une manière de transcender les différences de
conception entre sphères et assurer la protection des individus à l'intérieur
des sphères.
Les critiques de Pascal Engel et Will Kymlicka rejoignent donc la thèse
de John Rawls dont le but ultime est précisément de défendre les
individus contre des visions trop utilitaristes.
Cependant, n'est-il pas possible de «contourner» ces critiques en considérant
que - pour Walzer qui rappelons-le est assez imprécis sur la notion de
sphère - chaque individu lui-même constitue une sphère?
P. Engel note d'ailleurs que ce livre important se distingue tout autant
par ce qu'il dit que par ce qu'il ne dit pas. Ici, le non-dit ne
concerne-t-il pas une telle question? d'ailleurs sommes-nous réellement
ici face à un non-dit?
A un moment crucial
de son développement - en conclusion de son texte - Walzer insiste sur le
fait que la justice passe par le « respect mutuel» et le « respect de
soi ». Il n'ignore donc pas (et ce même si cette question n'est pas
centrale dans son travail) la question de l'individu ainsi que celle de sa
place dans l'ensemble.
En effet, comment évoquer un respect mutuel si la sphère elle-même
ignore ceux qu'elle est censée satisfaire ou protéger? (29)
Si ce dernier estime qu'il ne peut y avoir de justice sans respect de
l'autonomie même relative de chaque sphère, cette même justice ne peut
intervenir si chaque individu n'est pas en lui-même pensé et considéré
en tant que sphère qu'il convient également de préserver.
Reste cependant que la théorie walzérienne n'indique pas comment
trancher les litiges ou oppositions possibles qui peuvent exister entre
l'autonomie de l'individu et celle de la sphère. De même, elle n'insiste
que fort peu sur cette place que l'individu peut occuper au sein de la sphère.
Lorsque l'un et l'autre entrent en compétition, comment faire en sorte de
les arbitrer?
Si l'on applique littéralement la thèse walzérienne le conflit ne peut
être de part et d'autre apprécié que par l'individu et par la sphère,
chacun étant chargé de juger selon ses propres convictions partagées ce
qu'il estime devoir être injuste. La solution juste reviendrait alors à
renvoyer chaque protagoniste à sa propre logique et à sa cohérence
interne. '. .
Outre le jugement relativement difficile ici mais nullement impossible, la
thèse walzérienne n'exclut également ni la fuite ni l'exil. Ainsi, face
à une telle situation, l'individu walzérien -autonome en tant que sphère
- peut échapper à la communauté d'origine qui est sienne pour tenter de
rejoindre d'autres communautés plus accueillantes. Toutefois comment
autoriser la fuite ou l'exil de cet individu si toutes les sphères
elles-mêmes ont développé des logiques protectionnistes qui sont sans
grand rapport avec le bien dominant originaire qui prétend les fonder? De
plus, comment l'exilé peut-il s'intégrer si précisément la règle du
juste qui est celle de la dite communauté est pétrie d'un substrat
historique dont il ignore tout?
Vers la page
suivante -
Une théorie de la justice peut-elle se construire sans la réalité décrite
par Walzer ?
...
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Copyright
Jean Jacques SARFATI jean-jacques.sarfati@wanadoo.fr professeur de philosophie en région parisienne, juriste et ancien avocat à la cour d'Appel de
Paris
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