° Rubrique Droit et Justice 

DROIT et JUSTICE par Jean Jacques SARFATI 

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Les sphères de Justice de Michaël Walzer  Critiques et propositions d'interprétation  par Jean Jacques SARFATI 

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La justice ici n'est-elle pas contredite et est-il correct de rejeter une personne sous le seul motif qu'elle ignore les " convictions partagées" des membres de la sphère

La sphère "protectionniste" ne risque-t-elle pas à terme de s'appauvrir, de se rétrécir en exigeant des nouveaux entrants qu'ils soient parfaitement informés de toutes les règles et usages qui la constituent, une telle connaissance en peu de temps étant parfois impossible? Quelle forme d'assouplissement faut-il penser pour demeurer dans le juste?

Walzer ne répond pas à 'ces questions. De même sa thèse ignore-t-elle l'environnement de chaque sphère. Pourtant comment définir l'attitude juste lorsqu'une sphère reste ouverte aux exilés et lorsque celles qui sont alentour sont toutes verrouillées? La sphère ouverte ne risque-t-elle pas à terme de mourir de sa belle mort pour s'être dissoute dans une trop grande ouverture ou par les calculs corporatistes ou protectionnistes d'autres sphères concurrentes?

Les critiques de Pascal Engel et Will Kymlicka confirment que si penser l'autonomie des sphères est essentiel pour tenter d'aboutir à la justice - comme le fait justement Walzer - ladite justice ne peut se mettre en place si ne sont pas pensés et mis en oeuvre conjointement des principes qui assurent la cohésion et la régulation de la compétition logique entre toutes les sphères et si la question de la protection du minoritaire à l'intérieur de la sphère est éludée.

Elles mettent ainsi en évidence une nouvelle faille de la thèse walzérienne.

4) Deux autres types de critiques peuvent, à notre sens, être apportés à la thèse de Michaël Walzer

- En premier lieu, en refusant une théorie univoque de la justice, Walzer en a néanmoins proposé une autre. En effet, soutenir qu'il n'y a pas une vision de la justice et affirmer dans le même temps que cette justice est plurielle conduit implicitement à suggérer l'existence d'une théorie de la justice.

Michaël Walzer tout autant que John Rawls défend sa propre vision de la justice, même si celle-ci se veut moins « interventionniste» et plus respectueuse des minorités. Cependant, la thèse de Walzer repose sur une conception relativiste de la notion de justice que nous ne sommes cependant pas loin de partager dans ses grandes lignes.

La justice nous paraît effectivement être une valeur indéfinissable et par essence relative. Les faits qui s'imposent à nous et les débats que nous pouvons avoir chaque Jour le démontrent. La justice doit s'apprécier globalement dans la relation que j'individu ou la sphère entretient avec eux-mêmes. De plus, elle forme un tout donné qui ne peut être séparé des autres valeurs de la communauté ou de l'individu qu'il faut effectivement chercher à comprendre.

Cependant cette donnée factuelle - et Daniels le remarque fort à propos - ne doit pas décourager le philosophe et l'inciter, comme le note Dworkin à dépasser ses visions initiales, à les remettre en cause.

Il paraît difficile en revanche à une quelconque autorité humaine de vouloir imposer à autrui une conception transcendante de la justice. Cet accord sur le principe, n'exclut pas notre désaccord avec Walzer sur certaines imperfections de son système, voire quelques contradictions de son propos.

- En second lieu, en refusant l'implication ou la domination d'une sphère dans une autre el en rejetant les thèses globales sur la justice, Walzer se contredit quelque peu. En effet, peut-on admettre qu'il soit possible de refuser la domination d'une vision de la justice en proposant précisément soi-même une vision que l'on prétend imposer à l'ensemble, cette vision étant certes relativiste, mais réelle

De plus, refuser une vision unique et transcendante de la justice, n'est-ce pas remettre en cause la philosophie qui souhaite précisément transcender les différences pour aller vers un universel?


Conclusion

Une théorie de la justice peut-elle se construire sans la réalité décrite par Walzer ?

Nous ne le pensons pas. Les spécificités des sphères, les rigidités historiques sont présentes et il nous paraît difficile de vouloir les ignorer. A notre sens aucune théorie de la justice ne peut se penser sans prise en compte de cette logique de sphères.
Mais penser la sphère ne nous paraît pas suffire, loin s'en faut. Il faut peut-être essayer de définir plus précisément la notion de sphère et ne plus se cantonner à une vision essentiellement protestataire du pouvoir et de la coordination de l'ensemble. Certes pour Walzer, autonomie des sphères et harmonie de l'ensemble sont couplées l'une à l'autre. Il suffit de construire l'une pour aboutir à l'autre. La pensée d'un tout ensemble est inutile, il faut et il suffit, selon lui, de penser les entités « sphériques» qu'il dépeint et de les respecter pour parvenir à l'harmonie.

Cependant peut-on réellement nier qu'il existe des liens de coopération ou de concurrence entre les sphères et que ces sphères elles-mêmes ne forment pas chacune un tout cohérent construit sur un consensus? Ces sphères elles-mêmes ne sont-elles pas diverses et plurielles?
Ce sont là d'autres questions qui interpellent les thèses de l'auteur de «Sphères de justice». Il nous paraissait peut-être nécessaire de les relever pour poursuivre le débat sur ce sujet qui par définition ne saurait s'épuiser et que Walzer lui-même sans doute n'a pas entendu clore. C'est d'ailleurs là, l'autre mérite - et non des moindres - de ce travail qui entend ouvrir de nouvelles perspectives plus que les refermer.

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Copyright Jean Jacques SARFATI jean-jacques.sarfati@wanadoo.fr professeur de philosophie en région parisienne, juriste et ancien avocat à la cour d'Appel de Paris

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