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Rubrique Droit et Justice
DROIT
et
JUSTICE par Jean Jacques SARFATI
jean-jacques.sarfati@wanadoo.fr
Les
sphères de Justice de Michaël Walzer Critiques
et propositions d'interprétation
par Jean Jacques SARFATI
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2)
Michaël Walzer entend donc préserver la séparation et l'autonomie de
chaque sphère et il entend ainsi éviter - parce qu'il la refuse - ce
qu'il nomme la tyrannie....
Qu'est-ce que cette
tyrannie pour Walzer ?
Elle consiste dans la domination: d'un bien sur tous les autres, d'une
qualité sur toutes les autres, d'un pouvoir au détriment de tous les
autres. Mais elle se caractérise également par une volonté, celle
de « vouloir avoir par une voie ce que l'on ne peut avoir par une
autre» (12). Le tyran est donc celui qui domine en abusant d'un
pouvoir dont il dispose et en ignorant les règles des autres sphères.
Parce qu'il est maître d'un bien, le tyran veut être maître d'un ou
d'autres biens sans lien avec celui qu'il possède déjà.
Parce qu'il « dirige» une sphère, il entend par la même diriger une ou
plusieurs autres sphères pourtant autonomes de celles où il s'est imposé.
Le tyran domine certes à la suite d'une faiblesse initiale. Walzer,
citant Pascal, note le lien qui unit secrètement la tyrannie et la
faiblesse. Le tyran est celui qui - initialement - a souffert d'un manque.
Cette affirmation ne signifie nullement que tous ceux qui naissent avec
des manques deviennent tyrans. Mais la tyrannie naît de ce sentiment de
manque initial - que les circonstances peuvent rendre obsessionnel parfois
- et qui conduit de temps à autre certains à provoquer de graves
injustices au détriment d'autrui en abusant d'un pouvoir et en devenant
des « tyrans ».
En d'autres termes, le tyran est celui qui, ne pouvant s'imposer dans un
domaine, use et abuse de moyens dont il dispose - par le biais d'une sphère
- pour s'imposer dans une autre qui doit être étrangère à la première.
Pour Walzer, l'injustice
c'est la tyrannie. Cette logique anti-tyrannique est l'autre pan du
projet « protestataire» de Walzer (13).
L'exemple que Walzer utilise pour illustrer sa thèse est celui de la
ville de Pullman (Illinois) que Walzer qualifie de tyrannique parce qu'un
individu a réussi à conquérir le pouvoir politique en usant de son seul
pouvoir économique.
Dans cet exemple, Walzer nous démontre les conséquences d'un
envahissement du politique par l'économique. En effet, pour le simple
motif d'avoir réussi commercialement, Mr Pullman s'est autorisé à bâtir
une ville et à la diriger (14). Il a ainsi obtenu par un autre moyen le
pouvoir politique en usant d'un autre moyen que celui que Walzer estime
approprié pour ce faire.
Certes, il est possible qu'un homme ayant réussi dans les affaires dirige
une ville. Mais il ne doit avoir obtenu ce pouvoir que par la force de ses
qualités personnelles et non par ses revenus. Lorsqu'un bien permet de
devenir le maître dans une sphère à l'intérieur de laquelle ce bien
devait être sans influence, il y a tyrannie car « il n'y a pas de
relation intrinsèque» entre le bien obtenu et le bien d'échange qui
a permis ce transfert tyrannique.
Walzer nous offre ici une première piste de réflexion afin de nous
autoriser à penser un lien entre les différentes sphères autonomes.
La possession du pouvoir dans une sphère peut autoriser le pouvoir dans
une autre sphère indépendante de la première. Cependant cela n'est
admissible pour Walzer que dans l'hypothèse où le bien dominant de l'une
entretient une relation intrinsèque avec celui de l'autre.
Il peut également, semble-t-il, en être de même pour Walzer si
l'individu ou les individus ont prouvé qu'ils avaient conquis le pouvoir
de l'une sans abuser du pouvoir détenu dans l'autre.
Pour illustrer cette nouvelle thèse, Walzer nous donne un contre-exemple
à celui de Pullmann : il s'agit des fondateurs des grands magasins
Macy's. Ceux-ci ont également occupé des postes politiques importants en
plus d'être des commerçants aisés. Cependant, pour Walzer, leur expérience
ne peut être qualifiée de « tyrannique» car il n'a jamais été démontré
que ces hommes riches avaient utilisé leur argent pour corrompre
quiconque ou pour contraindre les citoyens à voter pour eux (15). Ce sont
leurs qualités personnelles qui ont primé.
La pluralité de talents n'est pas - nous paraît-il - sanctionnée chez
Walzer. Ce qui heurte notre auteur et qu'il classe dans l'injustice, c'est
l'usage d'un bien ou d'un pouvoir à des fins autres que celles pour
lesquelles il a été confié.
Ceux que Walzer paraît donc vouloir exclure ici : ce sont les agents qui
- dotés d'un seul type de talents ou de biens - veulent «forcer» le
destin, la réalité, la relation harmonieuse entre les sphères et
combler leur manque par une logique tyrannique qui consiste à abuser du
pouvoir dont ils disposent dans une sphère pour vouloir en contrôler
d'autres sans respecter les logiques de justice internes à chacune
d'elles.
Ceux là pour Walzer «fabriqueraient» de l'injustice.
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Jean Jacques SARFATI jean-jacques.sarfati@wanadoo.fr professeur de philosophie en région parisienne, juriste et ancien avocat à la cour d'Appel de
Paris
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