Introduction
(analyses initiales et problématisation)
accroche C’est parce que le mal existe que les
lois sont nécessaires. La référence à la bonté naturelle des hommes – que
la société aurait pervertie – est d’ailleurs le seul argument sérieux des
anarchistes qui défendent l’absence totale de lois. Si, en revanche, nous
pensons que le mal est une réalité humaine, qu’il existera toujours des
individus menaçant la vie des autres ou l’équilibre de la société, alors
il faut des lois pour dire les règles communes, ce qu’encourent ceux qui les
violent. = définition de la loi : une règle organisant
la vie ensemble + la sanction prévue en cas de désobéissance, où l’on voit
donc déjà qu’une loi au sens juridique n’est pas une loi au sens moral, la
loi au sens moral étant universelle et non simplement générale comme la loi
au sens juridique, la loi au sens moral ne s’accompagnant pas d’un pouvoir
de sanction puisque c’est ma volonté seule qui doit être à l’origine de
l’action morale, non la crainte de la sanction Et il faut un pouvoir
pour leur imposer ces sanctions.
Mais ce n’est pas
simplement parce que le mal existe qu’il faut des lois. C’est aussi, et
peut-être surtout, parce que la vengeance est la réaction naturelle de
l’homme au mal qui lui est fait.
Dans le monde d’avant les lois, hypothétique mais parfois nommé « état de
nature », les hommes s’affrontaient sans relâche pour imposer leur « loi »
: la « loi » du plus fort. Mais le plus fort n’était jamais assuré de
rester le plus fort, jamais à l’abri de la vengeance d’un « faible » ; il
avait peur lui aussi. Une vengeance en appelait une autre, sans aucun souci de
proportion, sans espoir d’apaisement.
Les lois, en prévoyant la sanction que la société réserve au criminel, ont
vocation à mettre un terme au cycle inépuisable de la vengeance . Le respect
des lois serait donc la preuve de la civilisation de nos pulsions, et plus
particulièrement de notre arrachement à cette logique de la vengeance qui est
notre triste privilège – a-t-on jamais vu, en effet, un animal se venger? Il
faudrait alors, pour s’arracher à cette violence primitive, respecter les
lois.
Pourtant, nombreux furent en Allemagne les nazis, ou en France les
collaborateurs, qui invoquèrent le respect des lois pour justifier leurs actes.
Ils n’ont fait « qu’obéir aux lois » : telle fut souvent, à l’heure de
leurs procès, leur seule défense. Si le respect, ou en tout cas l’obéissance
aux lois, [ distinction conceptuelle respecter les lois / obéir aux lois, que
vous devez expliciter en intro, cf note 2] peut être le moyen de s’arracher
à la violence primitive, il peut donc être aussi le prétexte d’une
collaboration à la barbarie moderne.
Tout aussi ambiguë, la désobéissance aux lois peut exprimer parfois un
comportement citoyen. En 1968, Martin Luther King a été emprisonné pour avoir
manifesté contre des lois racistes. Depuis, les rebelles d'Amérique ou
d'ailleurs se réclament souvent de lui pour justifier une désobéissance aux
lois qui, parfois, n’exprime rien d’autre que leur incivisme. Probablement
n'ont-ils pas lu sa " Lettre de la geôle de Birmingham" : " je
ne recommande en aucune façon d'enfreindre ou de défier la loi ( … ). Cela
conduirait à l'anarchie. Celui qui viole une loi injuste doit agir ouvertement,
avec amour (…) et accepter volontairement le châtiment qu'il encourt. Je
soutiens que quiconque enfreint une loi parce que sa conscience la tient pour
injuste, puis accepte volontairement une peine de prison afin de soulever la
conscience sociale contre cette injustice, affiche en réalité un respect supérieur
pour le droit ".
Voilà qui ne facilite pas notre réflexion.
Énoncé
d’un paradoxe, visant à montrer que la question se pose: D'un côté,
l'obéissance aux lois peut nous rendre complice de crime contre l'humanité.
De l'autre, la désobéissance peut révéler un amour supérieur du droit, et
donc de la société.
Faut-il alors respecter les lois ? Suffirait-il, pour répondre, de distinguer
les bonnes lois de celles que nous devons combattre ?
Lorsque nous estimons que la loi de Vichy enjoignant les juifs à porter l’étoile
jaune est une loi mauvaise, c’est au nom de la morale que nous la refusons.
Mais la morale peut elle vraiment nous dire ce qu’est une « bonne loi » ? La
loi française imposant de raccompagner à la frontière des clandestins vivant
en France depuis des années et n’ayant pas d’attache dans leur pays
d’origine est-elle une « bonne loi » ? Qu’est-ce même qu’une «bonne
loi»? Celle qui, en Californie, condamne l’auteur d’un crime de sang à la
peine de mort ou celle qui, en France, le condamne à une peine de seize ans,
rendant possible son rachat mais aussi sa récidive ? Ces exemples le montrent déjà:
la morale peut nous souffler parfois qu’une loi est mauvaise, mais elle est
impuissante à dire qu’une loi est bonne. Parfois aussi, elle semble congédiée,
balayée par l’obéissance aux lois. Les allemands, qui étaient loin d’être
tous antisémites et respectaient les excellentes lois humanistes de la République
de Weimar, ont respecté tout autant les lois nazies qui les ont remplacées.
Pourquoi ?
C’est peut-être qu’il n’y a pas que les lois qui sont bonnes ou
mauvaises, mais aussi notre façon de les respecter ou de les refuser… Peut-être
ces allemands avaient-ils une mauvaise façon d’obéir aux lois de Weimar,
expliquant qu’ils n’aient pas su, ensuite, désobéir … Si, donc, c’est
une question de manière, ou d’attitude, la question devient alors : comment
devons nous respecter les lois ? Automatiquement, en « bon citoyen » qui
applique les lois démocratiques de son pays ? Mais alors qu’est-ce qui nous
distinguera de ces allemands qui ont obéi, dans un même « réflexe citoyen »,
aux lois de Weimar puis à celles du nazisme ? Explicitation
de la problématique, ici simplement suggérée, mais qui doit être posée
clairement au concours : faut-il simplement obéir aux lois, les appliquer
automatiquement ou au contraire toujours essayer d’y réfléchir pour savoir
si elles sont ou non respectables ? Autrement dit (problématique justifiée,
assise sur une distinction conceptuelle) : faut-il simplement appliquer les lois
ou véritablement les respecter, ce qui pourrait alors impliquer que nous
sachions aussi parfois désobéir ?
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