III.
Il faut respecter les lois en se méfiant autant des lois que de notre
obéissance. (suite)
Proposition
1 Nous pouvons
d’abord penser que cette obéissance automatique aux lois, en créant les
conditions d’un monde pacifié, offre déjà un cadre pour une réflexion
future. Les hommes appliquent peut-être d’abord les lois parce qu’ils y
sont contraints, ou par un réflexe inculqué, mais cela ne les empêche pas
d’y réfléchir ensuite, de trouver peut-être alors de meilleures raisons de
les respecter. Ces feux rouges si nombreux peuvent ici tenir lieu de métaphores
: certes, ils nous obligent à un arrêt réflexe, mais ils nous donnent aussi
le temps d’y réfléchir… L’obéissance automatique aux lois ne serait
qu’une première étape. Cette idée renvoie d’ailleurs à une vérité
historique : les premiers États sont apparus « sous la contrainte », parce
que l’insécurité naturelle était insupportable, mais cela ne les a pas empêchés
de devenir les cadres modernes de la liberté politique, et donc les garants de
nos droits les plus essentiels. Les premiers États étaient autoritaires et
s’imposaient aux hommes, ils sont maintenant démocratiques et protègent
leurs libertés. Voila une belle idée : ce à quoi nous sommes forcés pourrait
devenir l’occasion de notre liberté. Ainsi se comprendrait le caractère
obligatoire du vote dans certains pays d’Europe du Nord.
Proposition
2 Nous pouvons ensuite, justement parce que notre application des lois
est le plus souvent automatique, vivre plus radicalement les occasions démocratiques
de réfléchir vraiment (élections, référendums ). Exprimer le choix d’une
alternance traduirait par exemple un refus de continuer à appliquer
automatiquement les lois en vigueur. Participer le plus intensément à ces
occasions démocratiques pourrait être une façon de mieux vivre le reste du
temps la dimension automatique de notre obéissance. Pourquoi, alors, ne pas
envisager que chaque élection majeure soit précédée de deux jours chômés,
pour signifier clairement, par ce geste symbolique, que ce temps là est
exceptionnellement dévolu non au réflexe citoyen mais à la réflexion
politique, non à la vie économique mais à la vie politique ?
Proposition
3 Mais l’essentiel de notre vie de citoyen se joue bien sûr entre les
élections. Il faut alors surtout, puisque nous semblons devoir nous résoudre
à cette obéissance automatique aux lois, que nous l’acceptions mais avec la
pleine conscience du danger qu’elle représente. Une obéissance automatique
qui se sait automatique ne l’est déjà plus vraiment ; elle est comme menacée
par cette conscience qu’elle a d’elle-même. Nous devons apprendre à
appliquer les lois tout en nous méfiant et des lois et de notre obéissance.
Parce que les lois que nous appliquons sont imparfaites comme tout ce qui touche
au monde des hommes, parce que notre obéissance elle aussi est donc en quelque
sorte imparfaite. Bref, devant la loi, mon corps peut s’incliner quand mon
esprit résiste, et c’est cette posture qu’il nous faut entretenir. Mon
corps peut même s’incliner automatiquement et mon esprit préserver sa
certitude qu’un tel automatisme est dangereux. Dans un climat de lutte
antiterroriste, nous pouvons respecter des lois nouvelles menaçant nos libertés
individuelles ( fichiers d’empreintes digitales, ouvertures de coffres et de
sacs ), tout en sachant qu’elles ne sont pas bonnes. Cette obéissance peut même
s’accompagner d’une réflexion sur le terrorisme, sur ses causes profondes
et les moyens de les traiter, qui ne peuvent se réduire à une simple répression
des terroristes. Ainsi pouvons nous appliquer une loi imparfaite sans en être
dupe, en en pensant pas moins, mais préférant cela à la menace du chaos que
nous appellerions de nos vœux par une désobéissance effective. « Pensez
autant que vous le voulez, aussi librement que vous le souhaitez, mais obéissez
", écrivait Kant . En effet, nous pouvons savoir qu’une loi n’est
jamais absolument bonne et que notre obéissance peut être dangereuse sans pour
autant désobéir.
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