° Rubrique Aide aux dissertations de philosophie

Thèmes: L’individu / Le droit / La morale

FAUT-IL RESPECTER LES LOIS ?
 

Une dissertation rédigée, par Charles Pépin, professeur agrégé de philosophie


Copyright, Flammarion 2006, chapitre extrait du livre «une semaine de philosophie»
 

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II.  L’obéissance automatique aux lois comporte les pires dangers. (suite)

Il ne faut pas respecter les lois, trop générales, mais la puissance de sa volonté singulière, avait écrit Nietzsche cinquante ans auparavant . Cet individualisme, certes outrancier, aurait au moins prémuni les hommes d’une collaboration au projet politique du nazisme, que leur respect des lois signa au contraire. Le « succès » des totalitarismes au XX° siècle ne s’explique pas seulement par l’existence dans la nature humaine de pulsions mauvaises, agressives ou racistes, ni par l’irruption dans l’Histoire d’un mal tombé du ciel, mais aussi par ce légalisme dénoncé par Nietzsche. L’obéissance automatique aux lois était censée nous protéger du mal, d’une vie de violence et de peur. Elle a fait de nous les collaborateur du pire: la barbarie industrielle d’État. L’Allemagne, une certaine France aussi, ressemblent alors à ces femmes violées qui, parce que l’avortement était illégal, ont gardé l’enfant de leur viol et leur en ont voulu toute leur vie. Parce qu’elles s’en voulaient à elles mêmes de n’avoir pas trouvé le courage de désobéir à la loi. La loi est parfois mauvaise, elle est toujours trop générale : deux bonnes raisons de s’en méfier. Tout ce qui est général est une menace pour l’individu, nous avait averti Nietzsche: tout « général » peut devenir un tyran. Nécessité de progresser dans la réflexion, rebondissement du questionnement Reste à savoir pourquoi les hommes s’y soumettent si facilement. 

Première piste S’il est plus facile d’obéir – à la loi, mais aussi au tyran, à l’habitude, à Dieu…, c’est peut-être parce que cette obéissance automatique est une occasion dont les hommes s’emparent pour se soulager du poids écrasant de leur liberté absolue. Cette idée, sartrienne, d’une liberté absolue peut surprendre si nous considérons les différents « déterminismes » pesant sur nous. Mais justement, répondait-il, invoquer ces « déterminismes » pour justifier l’impossibilité d’une action relève de la lâcheté, de la «mauvaise foi». Le déterminisme social ? Une simple situation de départ. Le déterminisme de nos besoins naturels ? Il ne pèse d’aucun poids devant le choix d’un suicide ou d’une grève de la faim. Notre liberté peut donc être dite absolue, et les hommes qui prétextent ces « déterminismes » pour ne pas l’assumer qualifiés de salauds . L’obéissance automatique aux lois devient pour eux une bonne occasion de mauvaise foi, une chance à saisir pour échapper à leur responsabilité d’hommes libres, céder à la passion de la servitude. 

Approfondissement de cette première piste Mais il y a pire, peut-être : une forme de jouissance. Ainsi s’expliqueraient aussi les totalitarismes au XX° siècle. La peur de la sanction ne suffit pas à expliquer l’ampleur de la soumission des uns , et elle n’explique pas du tout l’adhésion des autres. Peut-être aussi jouissaient-ils de n’avoir plus à porter le fardeau de leur liberté, de cette jouissance, qui n’est pas le plaisir mais une satisfaction beaucoup plus insidieuse, compatible d’ailleurs avec une certaine souffrance, ou mauvaise conscience.
C’est peut-être une telle jouissance, plus encore qu’un simple instinct de survie ou qu’un réflexe citoyen, qui explique l’obéissance automatique aux lois. La liberté humaine est un fardeau : elle nous rend responsables de nos choix, et cela nous angoisse. L’obéissance automatique aux lois permet de s’alléger de ce fardeau à peu de frais, en se donnant de surcroît de grands airs « citoyens ». L’exemple du conducteur de train, non antisémite, mais continuant à mener les déportés vers les camps de la mort, mérite que nous nous y arrêtions. Pourquoi ne désobéit-il pas ? Pour conserver son travail ? Par une sorte de respect aveugle pour l’autorité de laquelle émanent les lois, ou les ordres ? Parce que l’obéissance automatique lui a ôté tout conscience morale ? Peut-être. Mais peut-être aussi parce qu’il en retire une jouissance qu’il ne veut pas s’avouer. Non pas du plaisir - probablement sa situation est-elle quand même un peu désagréable…- mais une satisfaction indirecte, plus difficilement perceptible : soulagé du fardeau de sa liberté, se persuadant qu’il n’a pas le choix, il se laisse porter par les lois auxquelles il obéit avec le même automatisme que lorsqu’il conduit son train. Il se dit que ce n’est pas de sa faute, qu’il n’y peut rien, et puis il ne se dit plus rien.

L’obéissance automatique aux lois devient alors le masque d’une déresponsabilisation de l’homme. «C’est pas moi, c’est les lois!»: telle sera en substance la réponse des fonctionnaires nazis à ceux qui leur demanderont des comptes. Plus généralement, les hommes justifient leur obéissance automatique aux lois en invoquant soit une nécessité («on n’a pas le choix»), soit une obligation morale («c’est bien de respecter les lois»), soit enfin la légitimité des lois («les lois sont justes»). Nous avons là trois figures exemplaires de cette mauvaise foi dénoncée par Sartre :

Obéir aux lois serait une nécessité ? La menace de la sanction, ou d’un retour du chaos primitif, ne nous laisserait aucun choix? Faux. Toute loi juridique comporte deux éléments : la règle commune et la sanction prévue pour celui qui l’enfreint. Le fait que la désobéissance à la loi soit prévue par la loi signifie tout simplement qu’elle est possible! . Nous pourrions même penser que les lois, en prévoyant le cas de ma désobéissance, « provoquent » ma liberté. 

Obéir aux lois serait une obligation morale ? Faux, encore une fois. Le propre de l’obligation morale, c’est qu’elle vient de l’intérieur de l’individu. Lorsque j’estime que je dois respecter autrui, je n’y suis pas forcé de l’extérieur, par un parent ou par la police. Si je devais y être forcé, cela signifierait justement que je ne le respecte pas. Or, la loi juridique est une règle régissant du dehors l’activité des hommes. La présence de la police et la menace d’une sanction judiciaire prouvent que c’est d’abord de l’extérieur que l’homme est contraint au respect de la loi. Pour que nous respections les lois par pur impératif moral, il faudrait que nous ne soyons ni surveillés ni menacés de la moindre sanction. Nous pourrions alors éprouver la grandeur du choix moral, cet instant où le choix du bien ne vient vraiment que de nous.

Enfin, les lois seraient légitimes, justes? C’est tout aussi faux. Les lois ne sont pas absolues, mais relatives, déterminées dans le temps et l’espace. Elles ne sont pas subjectives comme l’exigence de justice, mais objectivement gravées dans des textes que « nul n’est censé ignorer ». L’avortement, légal aujourd’hui en France, ne l’était pas hier, et ne l’est toujours pas en Grèce ou en Irlande. En France, la même référence à la nature humaine est brandie par les défenseurs de ce droit et par les commandos anti-IVG qui le jugent illégitime. Pour les premiers, l’embryon n’est un être humain qu’à la douzième semaine. Pour les seconds, il l’est dès le premier jour. Ce qui est légitime pour les uns ne l’est pas pour les autres. Mais ce qui est légal pour les uns l’est aussi pour les autres. Rien ne peut venir légitimer parfaitement les lois, ni la tradition, ni la référence à l’avenir, pas même le respect de grands principes universels comme les droits de l’homme . Preuve en est de ces systèmes juridiques qui respectent tous les droits de l’homme mais jugent le même crime, passionnel par exemple, d’une façon très différente. Lequel de ces jugements est légitime?

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