Intelligence et instinct
(suite)
L'intelligence est, par essence, incapable de saisir le nouveau dans l'instantanéité de son jaillissement temporel, elle ne peut surprendre l'impulsion
originelle qui fonde la connaissance du vivant. Expliquer la création et l'invention du point de vue de
l'intelligence consiste donc toujours à réduire l'advenue
de l'imprévisible et de l'inconnu à des éléments prévisibles et connus, en un mot, à résoudre la
nouveauté par le recours à des antécédents anciens et familiers (30).
Ainsi, du fait que l'intelligence n'admet pas plus« la nouveauté complète que le devenir radical» (31), elle s'éloigne
irrémédiablement de la compréhension des sujets vivants. Car les sujets vivants inscrivent leur action et leur pensée dans le temps, dans cette durée entre « le passé de l'impulsion et le futur de
l'attraction » (32), et l'intelligence, dans son inaptitude principielle à concevoir l'imprévisibilité du
devenir, « laisse échapper un aspect essentiel de la vie, comme si elle n'était point faite pour penser un tel objet» (33).
Elle ne peut en effet percevoir l'importance du temps dans la création de formes nouvelles du savoir (34) ni le caractère fondamentalement temporel de l'action humaine: « L'être vivant dure essentiellement; il dure, justement parce qu'il
élabore sans cesse du nouveau et parce qu'il n'y a pas d'élaboration sans recherche, pas de recherche sans tâtonnement» (35). Le temps est alors cette hésitation créatrice qui échappe à l'intelligence et la
pensée doit, pour saisir cette indétermination, se retourner sur elle-même, c'est-à-dire « invertir la
direction normale de la connaissance» (36) afin de capter l'élan créateur, source de toute
connaissance, déploiement de la durée.
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