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L'intuition du vivant, Bergson et la création intellectuelle 

par Magali UHL, Docteur en sociologie, Université. Paris I Panthéon Sorbonne

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Sympathie et émotion 

Seulement, les émotions ne sont pas toutes créatrices. Il faut en effet distinguer deux espèces d' émotions «qui n'ont de commun entre elles que d'être des états affectifs distincts de la sensation et de ne pas se réduire, comme celle-ci, à la transposition psychologique d'une excitation physique »,(69). La première forme d'émotion est la conséquence d'une idée ou d'une représentation. C'est l'émoi de la sensibilité face à une image représentée. La seconde forme d'émotion n'est plus l'effet d'une représentation particulière, bien au contraire, elle en est la cause. Bergson qualifie la première forme d'« infra-intellectuelle », la seconde de « supra- intellectuelle ». Mais les termes infra et supra n'évoquent pas l'idée d'une hiérarchie de valeurs; il s'agit simplement « d'une antériorité dans le temps, et de la relation de ce qui engendre à ce qui est engendré. Seule, en effet, l'émotion du second genre peut devenir génératrice d'idées» (70). 

Ainsi, parallèlement à l'émotion qui est l'effet de la représentation, il y a une autre forme d'émotion antérieure à la représentation et qui, d'une certaine manière, rend la représentation possible. Cette émotion là est créatrice, « c'est elle qui pousse l'intelligence en avant, malgré les obstacles. C'est elle surtout qui vivifie, ou plutôt vitalise, les éléments intellectuels avec lesquels elle fera corps, ramasse à tout moment ce qui pourra s'organiser avec eux, et obtient finalement de l'énoncé du problème qu'il s'épanouisse en solution» (71). C'est dès lors sur cette émotion supra-intellectuelle, qui dépasse le caractère statique de l'émotion infra-intellectuelle pour introduire la dimension dynamique, que doit prendre appui la pensée afin d'accéder à la totalité créatrice ouverte (72), c'est-à-dire à une société de créateurs et non de reproducteurs. Ce n'est donc plus en contemplant mais en agissant et, par là, en créant que la connaissance du vivant et notamment des sujets humains peut acquérir son sens.

On le voit, la pensée de Bergson - qui associe étroitement l'élan vital dans son évolution créatrice, l'intuition, la durée et l'émotion - est non seulement une conception profondément novatrice du vivant qui anime toute humanité, mais aussi une approche originale de la connaissance en tant qu'immersion dans la vie. Penser, créer, s'émou- voir, agir, ne sont dès lors qu'une seule et même réalité, celle du mouvement inconditionnel de la vie. La philosophie de Bergson est in fine un élégant désaveu de l'éternelle distanciation objectivante, car si connaître signifie puiser à la source même de toute création pour découvrir le sens premier de la vie, on ne connaît pas en désertant la condition humaine mais en s'y enfonçant.

"À présent, il souhaite pénétrer dans l'onde et s'ébattre avec les poissons,
Qu'on lui accorde, pour un temps,
une robe de carpe dorée" (73),
Ueda Akinari, «Carpes telles qu'en songe"

Magali UHL
Docteur en Sociologie Université Paris 1 . Panthéon-Sorbonne

Avec la Revue Prétentaine. Article paru dans LE VIVANT  

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