Intelligence et instinct
La pensée bergsonienne (5) s'annonce de prime abord comme une critique du rationalisme
scientiste et du réductionnisme évolutionniste véhiculés par les théories mécanistes et finalistes (6). Les
premières comparent la vie humaine à
«
une
construction graduelle de la machine [par exemple l'œil] sous l'influence des circonstances extérieures, intervenant directement par une action sur les tissus ou indirectement par la
sélection, des mieux adaptés» ; les secondes considèrent que « les parties ont été assemblées sur un plan
pré - conçu, en vue d'un but ». Mais la vie « s'y prend tout autrement.
Elle ne procède pas par association et addition d'éléments mais
par
dissociation
et dédoublement» (7). On retrouve un écho de cette notion de dissociation dans la problématique
simmelienne du pont et de la porte où le sujet humain est avant tout scission de l'uniformité (8). La vie,
écrit Simmel, « doit compter avec le chaos, avec mille fractures, mille contingences impossibles à maîtriser et mille hostilités entre ses éléments» (9). De la même manière, dans la perspective de l'
évolution de la vie, il faut envisager une multiplicité de voies divergentes, une pluralité de formes de conscience qui n'aboutissent pas toutes à la ligne d'évolution de l'homme. Aussi, «le pur mécanisme serait donc réfutable, et la finalité [...] démontrable» dans la mesure où « la vie fabrique certains
appareils identiques, par des moyens dissemblables, sur des lignes d'évolution divergentes» (10).
La vie dans la perspective bergsonienne ne réa- lise donc pas un programme préétabli, elle ne suit pas non plus un développement rectiligne, elle procède toujours par divisions et différenciations, virtualisations et actualisations (11) qui définis- sent l'essence de l'élan vital: «L'essence d'une tendance vitale est de se développer en forme de gerbe, créant, par le seul fait de sa croissance, des
directions divergentes entre lesquelles se partagera cet élan. (12) La vie est ainsi originellement la continuation d'un unique élan qui s'est réparti selon des lignes d'évolution différentes comme autant de créations particulières d'où ont émergé de nouvelles voies, de nouvelles tendances. Cet élan commun à toutes les formes de vie permet de soutenir l'hypothèse selon laquelle la vie est avant tout mouvement, non pas en vue d'un but
particulier (finalisme), mais en vertu de sa« tendance à agir sur la matière brute» (13).
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