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L'intuition du vivant, Bergson et la création intellectuelle 

par Magali UHL, Docteur en sociologie, Université. Paris I Panthéon Sorbonne

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Intuition et nouveauté 

Puisque l'intelligence témoigne d'une incapacité constitutive à connaître la vie dans l'immédiateté de son jaillissement, quelle forme particulière doit alors revêtir la connaissance pour appréhender son, objet?, bref, quel est le médium de la connaissance? Pour Bergson la pensée humaine se divise en deux éléments distincts, l'intelligence et l'intuition (37), qui représentent deux directions opposées de la pensée consciente: «L'intuition marche dans le sens même de la vie, l'intelligence va en sens inverse, et se trouve ainsi tout naturellement réglée sur le mouvement de la matière» (38). Malgré le rôle essentiel de l'intuition dans la connaissance du vivant, le cours de l'évolution humaine n'a cessé de renforcer la fonction intellectuelle au détriment de la fonction intuitionnelle. La connaissance ne peut donc pas s'épanouir complètement, car il aurait fallu pour cela permettre le développement parallèle et complémentaire de ces deux polarités. Dès lors, le sacrifice de l'intuition et de la vie au profit de l'intelligence et de la matière conduit à une connaissance mutilée où l'intuition, même présente, s'apparente à « une lampe presque éteinte, qui ne se ranime que de loin en loin, pour quelques instants à peine [...J. Elle projette une lumière vacillante et faible, mais qui n'en perce pas moins l'obscurité de la nuit où nous laisse l'intelligence» (39).

Dans le programme philosophique bergsonien, il s'agit alors, on l'a dit, d' « invertir la direction normale de la connaissance », de « retourner la pensée sur elle-même» (40), c'est-à-dire de partir de l'intuition originelle pour aboutir à l'intelligence et non de passer de l'intelligence à l'intuition qui ne possède pas cette faculté de torsion. Il faut que la pensée s'empare de ces intuitions, étouffées par les théories qui privilégient l'intellect sur le sensible, « d'abord pour les soutenir, ensuite pour les dilater et les raccorder ainsi entre elles. Plus elle avance dans ce travail, plus elle s'aperçoit que l'intuition est l'esprit même et, en un certain sens, la vie même» (41). Invertir la direction de la connaissance cela signifie aussi penser dans la durée, la multiplicité et l'hétérogénéité pour percevoir la nouveauté. Or, cela a été précédemment souligné, l'intelligence se déploie essentiellement dans l'immobile, le stable, l'identique, l'homogène et c'est par le biais de ces diverses fixations qu'elle tente de reconstruire le mouvement. Le changement et la nouveauté apparaissent alors comme des accidents dans l'immobilité ambiante. L'intuition, à l'inverse, se fonde sur la durée et le mouvement perçus comme la quintessence de la réalité et elle comprend l'immobilité comme une abstraction déréalisante. Il apparaît en outre que l'intelligence « se représente ordinairement le nouveau comme un nouvel arrangement d'éléments préexistants; pour elle rien ne se perd, rien ne se crée. L'intuition, attachée à une durée qui est croissance, y perçoit [par contre] une continuité ininterrompue d'imprévisible nouveauté; elle voit, elle sait que l'esprit tire de lui-même plus qu'il n'a, que la spiritualité consiste en cela même, et que la réalité, imprégnée d'esprit, est création» (42).

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