° Rubrique philo-fac > Le vivant

- PHILO RECHERCHE - FAC

Agrégation interne de philosophie

http://www.philagora.net/philo-agreg/

L'intuition du vivant, Bergson et la création intellectuelle 

par Magali UHL, Docteur en sociologie, Université. Paris I Panthéon Sorbonne

Site Philagora, tous droits réservé

_________________________________


 

Intuition et nouveauté (suite)


L'intelligence se construit essentiellement sur une temporalité linéaire figée. Elle comprend la nouveauté par l'ancien qu'elle suggère et se trouve alors dépositaire d'une forme de vérité dans la mesure où elle bénéficie toujours du point d'ancrage du déjà-vu auquel elle se rapporte. La pensée dans son mouvement intuitionnel s'annonce, quant à elle, dans l'obscurité de ses origines. Elle ne s'appuie guère sur des éléments préexistants parce que ce qu'elle exprime a à voir avec la création d'une idée résolument neuve, c'est-à-dire d'une idée qui se détache des éléments anciens ou d'une vision rétrospective.

L'intuition originelle est donc simplicité. C'est, par conséquent, le fossé. qui sépare l'intuition des moyens pour l'exprimer qui introduit la complexité dans une théorie. Mais comment la conscience peut- elle alors saisir cette intuition fugitive? « Pour que notre conscience coïncidât avec quelque chose de son principe, écrit Bergson, il faudrait qu'elle se détachât du tout fait et s'attachât au se faisant. Il faudrait que, se retournant et se tordant sur elle- même, la faculté de voir ne fit plus qu'un avec l'acte de vouloir» (49). Cela exigerait cependant de contraindre la vision rétrospective de l'intelligence à devenir vision prospective, c'est-à-dire une vision tendue vers le devenir afin de laisser émerger la nouveauté, la vie et la création.

L'exigence méthodologique dont il est ici question consiste par conséquent à renverser le déroulement traditionnel de l'acte de connaître en privilégiant l'intuition sur l'intellection. Il s'agit alors, du point de vue de la théorie de la connaissance du vivant, de comprendre les sujets, non plus par le biais de la seule intelligence ekstatique, mais par l'esprit, c'est-à-dire par « cette faculté de voir qui est immanente à la faculté d'agir et qui jaillit, en quelque sorte, de la torsion du vouloir sur lui-même» (50). La connaissance n'est dès lors plus perçue comme une transcendance de la pensée sur le mouvement, où le sujet établit des relations entre des actions figées dans un moment quelconque du devenir, mais comme le mouvement même dans son immanence radicale, issu d'une volonté prise dans le flux de la durée. La pensée est par là mouvement et action à l'image de l'être vivant qui est un centre de forces actives. Dans Matière et mémoire Bergson insiste ainsi sur le corps comme« centre d'action ». «Les objets qui entourent mon corps, écrit-il, réfléchis sent l'action possible de mon corps sur eux» (51).

Et c'est par l'action des corps vivants que se manifeste aussi la vie, par conséquent « ces tendances dont on a négligé l'étude et qui s'expliquent simplement par la nécessité où nous sommes de vivre, c'est-à-dire, en réalité, d'agir» (52).
Autrement dit, dans l'ordre de la connaissance, particulièrement de la vie, «il n'y a pas de choses, il n'y a que des actions» (53). La fonction de l'intelligence est bien de rendre perceptibles des choses dans une optique essentiellement pratique, mais elle demeure incapable de saisir le mouvement dans son accomplissement, l'acte de voir dans son jaillissement. L'intelligence reflète la surface des choses, elle ne touche jamais leur essence, aussi dans la perspective de la connaissance du vivant elle pourrait s'apparenter à « la théorie selon laquelle la conscience serait attachée à certains neurones, par exemple, et se dégagerait de leur travail comme une phosphorescence ». Une théorie de ce type « peut être acceptée par le savant pour le détail de l'analyse; c'est une manière commode de s'exprimer. Mais ce n'est pas autre chose» (54). En effet, ces démarches ne peuvent rendre compte de ce qui fait la spécificité du vivant qui est avant tout un centre d'action, et elles demeurent incapables de saisir l'élan vital en tant qu'exigence absolue de création.

Vers la page suivante

Infogerance hebergement serveurs haut debit