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L'intuition du vivant, Bergson et la création intellectuelle 

par Magali UHL, Docteur en sociologie, Université. Paris I Panthéon Sorbonne

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Intelligence et instinct (suite)

L'intelligence possède, au contraire, «une puissance de dédoublement infini qui lui permet de réfléchir sur soi» (24), mais, en établissant une distance entre elle-même et ses objets, elle signe sa propre limitation. Si l'on reprend l'exemple donné par Vladimir Jankélévitch d'un paysage particulier vu sous le seul regard de l'intelligence, le cartographe le réduira à une formalisation abs- traite, l'ethnologue à un terrain affecté d'une configuration humaine symbolique, l'agronome à un sol et à ses ressources, l'historien à un champ de bataille significatif, etc. Cependant, au-delà de ces points de vue respectifs, « il y a ce quelque chose d'inimitable qui fait qu'un paysage ne ressemble jamais à un autre» (25) et l'intelligence seule est alors incapable d'en restituer l'haeccéité, c'est à dire le caractère absolument unique et original, sa profonde singularité subjective.
Plus significative encore est la vie du corps et de l'esprit: l'observation d'un corps donné dévoilera ainsi au sociologue un ensemble de signes où s'inscrit la socialité; le psychologue comporte- mentaliste y détectera des caractéristiques psycho- motrices; l'anatomiste s'attachera à la description littérale des mouvements musculaires, etc. Ce que l'on pourra alors en déduire c'est que « l'intelligence, si habile à manipuler l'inerte, étale sa mal- adresse dès qu'elle touche au vivant [...]. Elle pro- cède avec la rigueur, la raideur et la brutalité d'un instrument qui n'était pas destiné à un pareil usage» (26). L'intelligence est en effet en terrain sûr lorsqu'elle aborde « le solide inorganisé », «l'immobilité »,« le discontinu », lorsqu'elle peut « décomposer» et « recomposer» (27), mais elle reste incapable de restituer« la fécondité infinie de la vie» (28). 

En ce qui concerne la connaissance elle-même, l'intelligence est, là aussi, plus un obstacle qu'un recours. Dans la mesure où sa fonction essentielle est de décomposer et de recomposer indéfiniment, de reconstituer à partir d'un donné, elle laisse toujours échapper la nouveauté. L'intelligence est dès lors étrangère à l'intrusion du neuf, à l'indétermination, à l'ambiguïté et à l'imprévisibilité qui caractérisent toute recherche. Elle se satisfait de la corrélation entre des fins particulières et des moyens particuliers, entre des antécédents déterminés et des conséquences déterminées.' Or, dans un cas comme dans l'autre, « nous avons affaire à du connu qui se compose avec du connu et, en somme, à de l'ancien qui se répète» (29). Quelle place fait alors J'intelligence à la création, à l'invention, à l'imprévu, à l'innovation et plus généralement quel est son rôle dans la relation entre le chercheur et sa recherche?

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