Intuition et nouveauté (suite)

Mais où trouver alors cette intuition originelle? Cette vie qui s'épanouit alentour dans le monde n'est-elle pas aussi en chacun de nous? Comment, s'il en est ainsi, en restituer l'essence du point de vue du travail de pensée? Cet absolu qu'est la vie, répond Bergson, est tout aussi bien en nous, il est à la fois proche et semblable à nous-mêmes. « Les forces qui travaillent en toutes choses, nous les sen- tons en nous; quelle que soit l'essence intime de ce qui est et de ce qui se fait, nous en sommes. Descendons alors à l'intérieur de nous-mêmes: plus profond sera le point que nous aurons touché, plus forte sera la poussée qui nous renverra à la surface. L'intuition philosophique est ce contact, la philosophie est cet élan» (55).

Le travail de pensée s'apparente ainsi à une recherche de cette intuition originelle qui sommeille en chacun de nous et le but de toute connaissance est ce mouvement vers l'intérieur, c'est-à-dire vers le centre de toutes les actions possibles. Les réponses aux questionnements ne sont alors pas forcément dans le monde mais bien dans le sujet qui cherche. C'est ce que décrit avec finesse Marcel Proust dans un célèbre passage de la Recherche: « Grave incertitude, toutes les fois que l'esprit se sent dépassé par lui-même; quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera de rien. Chercher? pas seulement: créer. Il est en face de quelque chose qui n'est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière» (56).
De ce point de vue le chemin qui mène à la connaissance est celui-là même qu'au nom de l'objectivité scientifique on évite le plus, car, comme le souligne à son tour Vladimir Jankélévitch, « la bonne route, et la plus accueillante, est toujours la dernière qu'on voit. L'absolu est un mystère qui se réalise à tout moment en chacun de nous, dans la vie et par la vie. Il faut, suivant le mot de Goethe, apprendre à croire à la simplicité; il faut renoncer à l'idole d'un absolu lointain, et ne plus chercher midi à quatorze heures, quand le lointain est en nous» (57).

Vers la page suivante

_______________________