Sympathie et émotion (suite)
C'est
généralement ce travail de révélation que réalisent le peintre,
le musicien ou le dramaturge (62). On peut par conséquent «
concevoir une recherche orientée dans le même sens que l'art et qui
prendrait pour objet la vie en général », on verrait alors que« le
problème de la connaissance, pris de ce biais, ne fait qu'un avec le
problème métaphysique» (63).
La sympathie, au sens bergsonien, possède donc une valeur cognitive
qui révèle l'unicité de l'élan vital. L'acte de sympathie envers
les êtres vivants permet alors la prise de conscience d'une région
métaphysique jusqu'à présent enfouie. Cependant cette région
métaphysique que la sympathie nous révèle ne peut être connue que
par un effort d'intuition qui saisit immédiatement la réalité
comme un (62)
tout
signifiant, sans recourir aux diverses formes
logiques de jugements ou de raisonnements. Seule l'intuition, écrit Simmel, peut réellement
comprendre la vie, car elle
«
conçoit immédiatement
la vraie intériorité des choses au-delà de tout élément logique et médiatisé par l'intellect» (64). Comme le remarque aussi Bergson: « C'est par excès d'intellectualisme qu'on suspend le senti- ment à un objet et qu'on tient toute émotion pour la répercussion, dans la sensibilité, d'une
représentation intellectuelle» (65). Pour percevoir l'émotion constitutive de l'intuition, il s'agit cependant de procéder différemment, c'est-à-dire de remonter du plan intellectuel au plan
intuitionnel, jusqu'en
un point de l'être vivant d'où provient une
exigence
de création. C'est en somme la recherche de l' émotion simple devant la chose même qui préside au fondement de notre rapport au monde et, in fine, de toute connaissance réelle.
La véritable réponse de Bergson à la question de la connaissance des êtres vivants et en particulier au problème de la recherche sur les sujets humains réside finalement dans la genèse de l'intuition qui trouve sa source dans l'émotion originaire.
L'émotion est en effet« à l'origine des grandes créations
de l'art, de la science et de la civilisation.
L'émotion est un stimulant, parce qu'elle incite l'intelligence à entreprendre et la volonté à
persévérer» (66). Les émotions génèrent ainsi les idées et, dans le même mouvement, insufflent à
l'intellect une volonté d'invention. En somme, dans
l'ordre de la recherche, l'émotion résout le dilemme de l'intelligence et de l'instinct en tant que modes de connaissance disjoints. Elle permet, par un acte de volonté, de« pousser l'intelligence hors de chez elle» (67) et de la porter sur le terrain de la vie. C'est parce qu'elle diffère à la fois de l'intelligence et de l'instinct que l'émotion est génératrice de création et de nouveauté et, comme le souligne Gilles Deleuze, « elle n'a pas à proprement parler
un objet, mais seulement une
essence
qui se répand
sur des objets divers» (68).
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