Hector est un homme religieux.
Zeus le reconnaît: "Hector était pour les dieux
le plus cher des mortels qui sont dans Ilion. Il l'était pour moi
aussi car il n'omettait aucune des offrandes qui m'agréent. Jamais mon
autel ne manquait du repas où tous ont leur part, des libations, des fumées
grasses qui sont notre lot à nous."
Mais le Père des dieux, nous le savons, joue un vilain
double jeu avec celui qu'il prétend aimer. Il réveille "l'ardeur
d'Hector, fils de Priam, déjà grande d'elle-même. Il va furieux, comme
Arès, brandissant sa lance... L'écume est sur ses lèvres, ses yeux luisent
sous ses sourcils terribles, et son casque, autour de ses tempes, s'agite
effroyablement: Hector est au combat! et Zeus du haut de l'éther vient lui-même
à son aide, Zeus qui l'honore et qui le glorifie, seul entre beaucoup
d'autres..."
Bientôt, il va laisser agir les déesses malveillantes:
"déjà Pallas Athéné pousse vers lui le jour où il doit succomber
sous la force du Péléide".
Hector
s'y attend, il sait que malgré sa piété, malgré ses prières et
ses offrandes, il ne peut compter sur les dieux qui sont capricieux et
changeants.
Lorsqu'il fixe avec les Grecs les règles du duel qui doit les départager, il
a, sur Zeus, ce mot étonnant, qui traduit son peu d'illusion: "sa
malveillance à nos deux peuples".
Un seul dieu, nous l'avons dit, ne le lâchera que sur l'avis
exprès du destin, au moment du dernier combat, c'est Apollon. Ses
interventions sauvent plus d'une fois le héros.
Il le rassure et l'encourage: "N'aie plus peur,
maintenant: puissant est l'allié que le fils de Cronos dépêche de l'Ida pour
t'assister et te défendre. C'est Phoebus Apollon, le dieu à l'épée d'or, c'est
moi qui depuis lontemps te protège, toi et ta haute cité".
Il accroît ses forces, abat les obstacles, ou lui ouvre la
voie: "Les Troyens chargent en masse. Hector est à leur tête, qui
marche à grands pas. Devant lui va Phoebus Apollon. Un nuage couvre ses épaules.
Il tient l'égide impétueuse, terrible, velue, éclatante... Il montre la
route à ses gens".
Après la mort du héros, c'est lui encore, qui, aidé
d'Aphrodite, protège son corps outragé par Achille: "Autour d'Hector,
cependant, les chiens ne s'affairent pas. La fille de Zeus, Aphrodite, nuit
et jour, de lui les écarte. Elle l'oint d'une huile divine, fleurant la
rose, de peur qu'Achille lui arrache toute la peau en le traînant. Pour lui,
Phoebus Apollon amène du ciel sur la plaine une nuée sombre et dérobe aux
yeux tout l'espace qu'occupe le corps: il ne veut pas que l'ardeur du soleil
lui dessèche trop vite la peau autour des tendons et des membres".
Quelle tendresse, quel respect, dans ces soins attentifs!
C'est enfin sur les instances d'Apollon que Zeus se décide
à faire cesser le cruel manège d'Achille.
Deux héros aux antipodes?
Voyons cela!
Achille, malgré sa violence et sa démesure, est
capable, nous l'avons vu, d'amitié, de tendresse et de générosité:
"Il n'est ni fou, ni aveugle, ni criminel, bien au contraire, il tiendra
fermement à épargner le suppliant", affirme Iris, la Messagère des
dieux, lorsqu'elle encourage Priam à se rendre auprès de lui.
Hector n'est pas la perfection incarnée.
Il se montre parfois d'une horrible férocité,
il se laisse aller à des rodomontades ridicules ou à des triomphes
odieux, il cède, comme tous les autres guerriers homériques à la joie
sauvage de dépouiller le vaincu de ses armes. Nous le voyons particulièrement
à la mort de Patrocle, dont il s'attribue toute la gloire. Son orgueil peut le
pousser à s'entêter contre l'avis des plus sages et à commettre de
graves erreurs très préjudiciables aux siens.
Les deux hommes ont en commun leur violence au
combat, leur "démesure", disaient les Anciens.
Ils ont leur immense valeur guerrière et leur mépris du danger. A cause
de leurs qualités exceptionnelles, tous les deux intéressent les dieux, qui
tiennent à les assister, et cette prédilection les met au-dessus de
leurs compagnons, ils sont "divins", plus que tous les
autres guerriers.
Ce qui les oppose, c'est leur attitude face
aux autres.
Achille
se sait condamné à mourir jeune: lui-même
préfère une vie brève mais glorieuse à une longue existence sans éclat, il risque
donc sa vie en toute connaissance de cause. Il y a là de l'héroïsme,
mais ce sacrifice ne vise qu'à la satisfaction de son tempérament violent
et à sa propre gloire. Il vit pour lui, sans trop se soucier du bien
commun.
Hector, à l'inverse, agit en fonction des
siens, dont il se sent absolument responsable. Il aime se battre, il
l'avoue, mais il le fait ici pour éviter la ruine de son pays et le malheur de
tous.
Le premier est une nature fortement égocentrée,
le second est une nature sociable.
Si être un héros, c'est tout sacrifier à une cause juste,
Hector mérite ce titre.
De plus, il pressent que sa cause est perdue: "Sans doute, je le
sais, en mon âme et mon cœur: un jour viendra où elle périra, la sainte
Ilion, et Priam, et le peuple de Priam à la bonne pique", mais il
espère contre toute espérance.
Son honneur et sa générosité lui interdisent de renoncer à se battre,
c'est là son héroïsme.
Sacrifice inutile? Qu'en pensez-vous?
Hector est certainement plus évolué que son
antagoniste, et son héroïsme correspond mieux à l'idée que nous nous en
faisons...
Qui aura le dernier mot? Voir
Page suivante
=> Cuisine
de Grèce
Jacqueline Masson
|