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- Non-sens linguistique -
C'est sous le double signe d'une rationalité positive et logique
que se développe un premier assaut. Au nom du réalisme expérimental,
on exige de toute proposition "synthétique" (I) qu'elle
puisse donner lieu à une vérification au moins possible par les
"faits"; faute de quoi, elle constitue un énoncé
arbitraire et dénué de sens. A ce principe classique de la
tradition empiriste vient s'ajouter un idéal plus spécifiquement
moderne de clarification logique et linguistique: un discours
n'est susceptible de validité et de communicabilité rationnelles
que s'il peut exhiber une cohérence univoque exempte de toute
ambiguïté, qu'elle soit d'ordre purement formel (mathématique)
ou qu'elle vise à une formalisation opératoire de l'objectivité
(sciences de la nature). Pour la pratique qui tente de lier ainsi
rigoureusement l'expérience et la théorie, "une proposition
ne constitue une assertion cognitivement douée de sens et ne peut
donc être dite vraie ou fausse que si elle est:
1)
ou bien analytique ou contradictoire,
2)
ou bien susceptible, au moins en principe, d'être soumise à un
test par l'expérience" (2).
Dès lors, toute prétention de discours cohérent portant sur l'uni-totalité
de l'être et du sens ne peut qu'être dénoncée comme vide et
insensée; la "métaphysique" est une construction théorique
à laquelle fait défaut tout critère rationnel. Si elle peut
bien exprimer un certain "sentiment de la vie" (Carnap),
de caractère esthétique ou religieux, son tort fondamental est
de chercher -en vain- à projeter sur le plan du discours théorique
ce qui relève de la seule création "poétique".
Non-sens
spéculatif, la métaphysique est une illusion, une maladie de la
pensée et du langage: le discours tourne à vide en cela même
qu'il croit construire de sublime. La tâche, dés lors, n'est
point tant de combattre une telle vacuité, plutôt de dissoudre
ses prétentions en montrant d'où s'engendre cette fausse problématique;
il s'agit de procéder à une analyse thérapeutique, à un
"nécessaire travail d'élimination des énoncés ambigus et,
ce qui est encore plus utile, des questions ambiguës et dénuées
de sens ou des pseudo - problèmes" (3). Mais la clarté
ainsi visée et obtenue est celle du seul entendement analytique,
qui limite par principe son investigation à une intelligibilité
de type opératoire. Peu importe à cet égard que l'on explore le
domaine de l'expérience objective, celui des structures formelles
ou des systèmes symboliques; car il s'agit toujours de savoir, en
procédant à des découpages, agencements et combinaisons,
"comment ça fonctionne", à quelles lois obéit le jeu
du monde, des signes et de l'esprit. De l'être, bien sûr, mais
également du sujet ou du sens, il ne saurait même être question
ici; la métaphysique y est bien morte, non seulement par
exclusion méthodologique, mais faute d'utilité, de pertinence et
finalement d'intérêt.
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Notes:
1) Kant reste la référence traditionnelle pour la distinction
fondamentale entre jugements "analytiques" et
"synthétiques": "Ou bien le prédicat B appartient
au sujet A comme quelque chose qui est contenu dans ce concept A
(de manière cachée); ou bien B est complètement extérieur au
concept A, bien qu'il lui soit certes rattaché. Dans la premier
cas, je nomme le jugement analytique, dans l'autre synthétique"
(Critique de la Raison Pure, Introduction)
2) Voir dans Histoire de la philosophie (sous la direction de F.
Châtelet) Tome 8, p.76
3) Eric. Weil "La science et la civilisation moderne ou le
sens de l'insensé", Essais et Conférences, Plon, I. p.293
et 294
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