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vivant
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LE
VIVANT ET L'ANIMAL
Entretien
avec Elisabeth de Fontenay (Le Silence des bêtes. La philosophie
à l'épreuve de l'animalité, Paris Fayard, 1998)
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Que
nous ayons des devoirs envers les animaux, je crois qu'il serait très
grave de le nier. Les gens qui le contestent aujourd'hui sont
parfaitement inconscients de ce qui est, et surtout de ce qui vient.
Ils ne comprennent pas que les manipulations génétiques auxquelles
nous nous livrons aujourd'hui sur l'animal concerneront l'Homme dans
un avenir très proche, comme vous venez de le souligner. La manière
dont nous traitons l'animal et les devoirs que nous avons vis-à-vis
de lui constituent une question politique. Tôt ou tard en effet le
rapport à l'animal se répète dans le rapport de l'Homme à l'homme.
Je reprends ici Marx: le rap- port de l'Homme à la nature commande le
rapport des hommes entre eux. Et je déplace son assertion en disant
que le rapport de l'Homme à l'animal commande le rapport des hommes
entre eux: ce qui modifie la pensée marxiste dans un sens resté
ignoré de Marx et de Engels qui considèrent les animaux comme des
êtres purement «en-soi», incapables de « pour-soi », ce en quoi
ils continuent, sans le savoir ni le vouloir, une tradition idéaliste
et même pré-hégélienne. Maintenant peut-on affirmer que les
animaux ont des droits? Il est très difficile de le dire dans la
mesure où ils ne contractent pas. Mais ce n'est pas parce qu'on ne
peut pas passer contrat qu'on ne dispose pas de droits: les enfants,
les handicapés mentaux, certains vieillards en sont la preuve. La
tutelle est un dispositif juridique qui permet que les êtres
prétendument libres et rationnels n'aient pas seuls droit au droit.
Mais cette question est très compliquée parce qu'il faudrait
établir un droit gradua- liste: les droits du moustique ne sont
évidemment pas ceux du chimpanzé. Ce droit gradualiste sou- mis aux
dernières découvertes scientifiques rencontre bien des difficultés.
Il n'empêche que nous devons défendre cette idée limite d'un droit
pour les animaux. Il existe une « Déclaration Universelle des Droits
de l'Animal », faite sous l'égide de l'UNESCO, qui est très naïve,
mais qu'il faut prendre comme un mythe ou comme une métaphore, et qui
donne à réfléchir et à agir. Par ailleurs, je viens d'évoquer ce
programme antispéciste qui revendique les droits de l'Homme pour les
chimpanzés. Dans un premier mouvement irréfléchi, j'ai trouvé cela
très bien. Dans un second mouvement, je pense que ça ne peut que
braquer les défenseurs des Droits de l'Homme. Il est extrêmement
contre-performant d'émettre une demande aussi radicale que celle-là.
Je crois que l'on peut se contenter de réclamer des droits pour les
animaux, pour les chimpanzés notamment, sans pour cela les faire
bénéficier d'une extension des Droits de l'Homme. Ce qui m'avait
particulière- ment frappée dans une discussion parue dans la revue Le Débat, il y a
près de deux ans, c'est que la militante qui défendait ce point de
vue, Paola Cavalieri, avait consacré toute une partie de son article
à une mise en cause du tribunal de Nuremberg (23). Vous voyez à quel
point la question animale relève du politique puisque quelqu'un ose
évoquer le tribunal de Nuremberg pour dire que l'exigence
d'expérimenter sur l'animal avant d'expérimenter sur l'Homme est
inadmissible. On constate ici que certains défenseurs du droit animal
sont vraiment anti-humanistes, je veux dire politiquement désastreux.
Certains écologistes expliquent qu'il faut respecter les animaux
au nom de la biodiversité, qu'il est détestable que les tigres, les
éléphants, les rhinocéros, etc., disparaissent. D'autres pensent comme Brigitte Bardot que les bébés phoques
méritent attention...
Je suis d'accord avec cette idée, pourvu qu'on n'oublie pas les
bébés humains...
En effet! La question qui se pose alors philosophiquement est
peut-être celle-ci: comment peut- on imaginer l'articulation correcte
entre la lutte pour un monde humain et la lutte pour le respect du
monde animal, de sorte que ces deux mondes soient
«
co-vivables» ?
Je vous le redis, je me considère comme héritière de Michelet, de
Hugo, de Schœlcher, de Clémenceau qui étaient obsédés par la
souffrance animale et par l'idée d'un droit des animaux. Cette
question a eu un véritable statut dans la tradition française,
républicaine et démocratique. Par ailleurs, je suis plus que mal à
l'aise face à la misanthropie et souvent même au racisme de certains
défenseurs des animaux. Je voudrais vous raconter une anecdote. Il y
a une quinzaine d'années, je suis allée à une manifestation de
différentes sociétés de protection animale, la seule d'ailleurs à
laquelle j'ai jamais participé.
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