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LE VIVANT ET L'ANIMAL

Entretien avec Elisabeth de Fontenay (Le Silence des bêtes. La philosophie à l'épreuve de l'animalité, Paris Fayard, 1998)

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Une fois que le biologique ou le vivant est là on fait du vivant à partir du vivant, mais pour l'instant on ne fabrique pas encore du vivant à partir de l'inerte.

Mais on le fera sans doute bientôt. Vous avouerez que fabriquer un vertébré ou un mammifère cloné c'est déjà lui ôter une partie considérable de son originalité qui vient de l'union de deux êtres différents. Les partisans du clonage nous disent qu'un être humain ne se réduit pas à ses gènes. Qu'en savons-nous? Où en sommes-nous au sujet des parts respectives de l'inné et de l'acquis? Avec la pratique du clonage, l'énigme du vivant a« pris du plomb dans l'aile».

D'un point de vue éthique quelle est votre position sur le clonage thérapeutique, l'utilisation des embryons, des biomatériaux, l'utilisation de la « viande humaine» en somme, vieille ou jeune, à diverses fins? Êtes-vous pour le droit absolu à la recherche, pour un moratoire, pour l'interdiction?

Je ne peux pas vous répondre précisément, parce que je manque de moyens pour penser ces choses, que je me méfie de mes tendances passéistes, que j'ai peur de l'émergence, non d'un autre Homme mais d'un être autre que l 'Homme. En même temps je récuse toute prétention à définir l'essence ou la nature humaine. Prise dans cette double injonction - limiter d'une part, ne pas circonscrire de l'autre -, vous comprendrez que je sois toujours en faveur des moratoires!

Si l'on admet la position cartésienne, jusqu'à quel point peut-on soutenir que l'être humain peut être maître et possesseur de la nature, y compris de sa propre nature? A-t-on le droit? Et si oui pourquoi et au nom de quoi?

Pour Descartes l'Homme n'est pas seulement un être de la nature. Ceci dit, à quel titre, au nom de quoi, l'Homme n'aurait-il pas le droit de transformer sa nature? Qu ' est-ce que vous en pensez, vous?

J'y suis opposé pour des raisons politiques de fond. Ce serait permettre en effet aux apprentis sorciers désireux de breveter le vivant, en commercialisant la vie comme une marchandise ordinaire, de déchaîner des processus incontrôlables et irréversibles. Certains chercheurs imaginent déjà les étapes suivantes à travers les manipulations génétiques intra et interspécifiques assistées par les nanotechnologies, l'informatique et les neurosciences. Ils voudraient créer des êtres mixtes, des artefacts, des chimères qui seraient à la fois issus du clonage et des divers traitements transgéniques (16). Nous allons vers un monde grouillant où la science-fiction est en train de se réaliser sous, nos yeux. L'intérêt de ces êtres mixtes? La raison technologique, la maîtrise. Certains prophètes de la computation envisagent la possibilité d'implanter des ordinateurs miniaturisés dans le cerveau en associant étroitement la matière cérébrale et la matière informatique pour fabriquer des cybernanthropes de troisième génération. D'autres fanatiques de l'intelligence artificielle envisagent de construire des cerveaux artificiels, des machines «super - intelligentes», des «artilects» qui rivaliseraient avec les humains avant de les coloniser et de les soumettre (17).

Votre analyse me semble juste, ainsi que votre refus de la réification universelle. Mais vous ne prenez pas en compte l'autorité catégorique de l'argument humaniste, humanitaire, philanthropique: pour pallier certains handicaps comme la paralysie et la cécité laissons la recherche bionique se développer sans l'entraver... Que répondre?

Revenons, si vous le permettez, à l'animal et à la question du fondement philosophique du respect de la vie. Faut-il respecter toutes les formes de vie? 

Non et du reste cette question est un piège. Il est tout à fait indiscutable que nous devons pou- voir utiliser des formes de vie larvaires, inférieures à des formes de vie plus évoluées. Mais alors jusqu'où ira-t-on dans la hiérarchisation des formes de vie? Comment éviter l'arbitraire et le relativisme culturel ?

C'est en effet la question des niveaux et des limites: quels sont les êtres vivants qui ont droit au respect de leur vie?

Il faut se débarrasser du « respect », concept moral qui n'a été forgé par Kant que pour affirmer une distinction entre l'homme, seul digne d'un absolu respect parce que rationnel et libre, et les autres êtres vivants qui doivent être considérés comme de purs moyens et évalués selon leur prix.

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