Les Passants. Ils sont nombreux dans ce quartier,
prêts
à s'arrêter en toute occasion, par exemple, pour admirer et
critiquer les travaux de peinture de Cidrolin, ou même s'en
plaindre amèrement, tel ce maladroit qui s'est taché:
"Eh vous! là! c'est
à vous cette péniche, c'est à vous cette barrière? vous pourriez au
moins mettre un écriteau peinture fraîche. C'est la moindre des
choses. Maintenant mon veston il est bon pour le teinturier. C'est vous
qui allez payer la note?"
Merveilleux râleur!
Les passants
ont toujours une oreille qui traîne, par
exemple:
"Étrange. Je disais simplement:
c'est vraiment étrange", murmure Cidrolin.
- Et qu'est-ce qui est vraiment étrange?
- Ah, voilà, répondit-il.
- Monsieur, s'écria le passant d'un air furieux, on ne pique pas comme
ça la curiosité des gens: vous les intriguez, et puis ensuite..."
Il s'éloigne en faisant des moulinets avec ses bras".
et ceci:
Sthène, de passage à Paris, a
l'imprudence de prendre la parole au milieu d'étrangers:
"Et nos juments"... Un passant sursauta.
- Et nos juments, dit le duc à haute voix... c'est moi qui ai
dit: et nos juments."
Les passants
sont toujours disposés à engager la conversation:
Cidrolin se parle à lui-même:
"Ils
font la noce sans moi," murmure Cidrolin.
" -Pardon?
demanda le passant...
- Rien, répondit-il. Je me parlais à moi-même. Une habitude...
-Vous devriez essayer de la perdre... On croit que vous vous voulez un
renseignement, on s'apprête avec plaisir à vous le donner, comme il
n'en est rien, ensuite, on est déçu."
et:
"Une grosse
ouature vient se ranger le long du trottoir... la demoiselle monte. Le
passant dit à Cidrolin:
"-Vous
avez vu comme la petite a subodoré la grosse houature?"
(pour la catégorie de luxe, ça fait mieux d'ajouter h)
ou encore, un badaud planté devant le campigne observe:
"On les regarde
comme des bêtes curieuses, ce n'est pourtant pas le zoo."
- Presque,
dit Cidrolin", qui engage avec l'inconnu une
conversation difficile.
Les conversations avec
les passants sont, en effet, rarement
satisfaisantes.Ou bien, chacun suit son idée, et ça donne un
dialogue de sourds:
"J'habite
l'hôtel...
- et moi, cette péniche...
- un hôtel de luxe même...
- immobile...
- il y a des vatères dans la salle de bains...
- amarrée...
- l'ascenseur...
- je pourrais même avoir le téléphone...
- il y a un numéro bleu avec des chiffres comme pour une maison...
- avec l'automatique pour l'étranger...
- c'est le vingt et
un..."
- Ou
bien, sans renoncer à son idée, chacun prend celle de l'autre de
travers,
et ça donne des choses désagréables:
- "Vous
n'allez tout de même pas me dire...
- Prouvez-le, dit Cidrolin....
- Quel emmerdeur! il n'y a pas de conversation possible avec un
emmerdeur comme vous... dit le badaud écœuré qui s'éloigne en
grommelant".
Curieusement, il n'y a ni facteurs, ni
plombiers parmi ces passants. De loin en loin, un abbé fait une
tournée apostolique: d'abord en soutane et à vélo, ensuite en civil
et sur un cyclomoteur. Il lance la bonne parole et quête en latin, mais
sans insister. La caricature, gentillette, n'a pas le pittoresque des
ecclésiastiques de l'entourage du duc.
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sympa, un caïd...