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Rubrique lettres
> Raymond
Queneau
Auteurs
Raymond Queneau.
LES FLEURS
BLEUES
VI.
Ça sent si bon la
France!
- Des
scènes de chez nous:
- au
bord
de la Seine - au "campigne" - sur
le zinc - dans
un
de-luxe
------------------------------------------------------------
Des scènes de chez nous.
Tout ce qui est raconté ici nous est
extraordinairement
familier (l'ambiance et les gens n'ont pas tellement changé en trente ans).
Si on met de côté l'amplification romanesque d'un personnage comme le duc,
dont nous venons de voir les aspects rabelaisiens, et les inventions oniriques,
dont nous parlerons dans la seconde partie, qui s'intitulera Fleurs Bleues, nous
pouvons reconnaître la plupart des situations et des personnages.
Les bords de la Seine.
en voici quelques
exemples:
Dans le coin où habite Cidrolin, les emplacements ne sont pas trop
chers, c'est en bordure de Paris, mais il y a quand il y a même une
bouche de métro à proximité, on voit des péniches plus chouettes de
loin que de près, des campignes pas très luxueux et des buildignes en
construction, comme partout en région parisienne, ça circule pas mal:
"sur le quai,
pass(ai)ent les ouatures dans un roucoulement monotone".
La nuit, c'est
tranquille
"Sur le boulevard le long du quai, il y a encore
quelques camions qui passent de temps à autre, de même sur le pont. Sur les
autres péniches voisines, on dort. Cidrolin
(il est en barque) suit le
cours du fleuve (...) il entend parfois une bulle qui crève, un poisson qui fait surface ou le
produit d'une fermentation née au fond du fleuve et qui vient exploser à sa
modeste mesure entre deux rides semées par le vent..."
Quand vient le
matin:
"La circulation croît sur le pont comme sur le
boulevard. Les premiers pêcheurs à la ligne apparaissent. Des membres
ultramatinaux d'un club sportif pratiquent l'aviron. Une péniche vraie passe,
les vagues viennent s'amortir le long de la rive. Cidrolin voit la cime des
arbres monter et descendre."
Parfois, un immeuble
s'écroule:
"Lalix aperçut un grand attroupement et, se
rapprochant, distingua des cars de police et des cars de pompiers... on déblaie
la chaussée... on filme pour les actualités de la soirée... On extrait enfin
quelque chose de dessous les débris... On le fait disparaître aussi
discrètement que rapidement. La chaussée est dégagée, la circulation des
ouatures recommence, les curieux vont regarder ailleurs, les passants de nouveau
passent..."
La péniche.
Quel parisien, en voyant de lents convois glisser sur la
Seine, ne s'est dit, comme l'ératépiste: ça ne me déplairait pas
d'habiter une péniche"? celle qui nous intéresse, l'Arche de
Cidrolin, est amarrée au bord d'un quai.
La péniche. "Une clôture (avec un portillon) sépare du
boulevard le terrain en pente attenant à la péniche". Pour y
accéder, il faut descendre "le talus jusqu'à la planche passerelle",
ce n'est pas sans risques: en traversant, "l'ératépiste manque de se
flanquer dans la fange du fleuve".
"Cela doit être grand, une péniche",
puisque le duc et sa suite décident d'y établir leurs quartiers. Il faut tout
de même mesurer ses gestes,"sur les bateaux, vous savez, la place est
toujours limitée", "quand on fait l'amour sur une couchette, le type
il doit se cogner la tête", remarque Lalix.
L'Arche- L'Arche, cependant, est confortable: Il y a une salle de
bains "et le petit coin à côté". Elle est bien entretenue:
il faut régulièrement "rincer le pont,
râcler le
gouvernail", "dans la marine, tu sais, on n'arrête pas de
briquer". On la repeint tous les deux ans, du reste, elle va bientôt
passer "dans les trois ancres, catégorieA".
S'il n'y a pas la "tévé", on peut, en
revanche, y "prendre des bains de soleil en regardant les rameurs d'un
club sportif, de beaux garçons", ou bien des pêcheurs à la ligne,
tiens en voici un: il "amarre sa barque à un piquet et prépare son
matériel, il est accompagné d'un chien..." Un temps se passe...
"le pêcheur a lancé sa ligne, il allume une cigarette et fume, l'air
absent. Le chien s'est couché en rond et dort."
Il fait bon, sur
cette
péniche: "Lalix crie:
- c'est servi!
On rapplique dans le carré, on s'assied joyeusement.
Empoigne a bientôt fait de regagner le peloton. Sur la table, le café bien
chaud fume joyeusement. .Il y a des toasts, des non toasts, des confitures, des
raviers de beurre".
Le
"Campigne". Lorsque s'éloigne cette troupe vagabonde, on
s'aperçoit que
les beaux jours s'achèvent:"Derrière des fils de fer barbelés, Godons
(= Anglais), Brabançons, Néerlandais... vaquaient à leurs occupations, ce qui
consistait à aller de leur caravane ou de leur tente aux vécés, des vécés
aux douches, des douches à la cantine et de la cantine à leur caravane ou à
leur tente (...)
et le chant lancinant de multiples transistors était parfois couvert par des chœurs
en langues étrangères avec accompagnement de cornemuse, de bugle ou
d'ocarina."
----- "Ils commencent à migrer... l'automne
approche."
Tout à côté de la péniche,il y a un "campigne"
Il
est très fréquenté en saison, surtout par des étrangers, et
particulièrement des Canadiens. Ces pauvres "nomades", qui, en
général connaissent à peine les deux mots-clés: campigne et métro,
essaient se faire comprendre par gestes, mais, d'un pays à l'autre ça ne veut
pas toujours dire la même chose, alors, ils utilisent aussi le langage "babélien":
- Esquiouze euss, dit le campeur mâle, mà wie sind
lost.
- Bon début, réplique Cidrolin.
- Capito? Egarrirtes... lostes."
- Triste sort.
- Campigne? Lontano? Euss smarriti...
- Vous ferchtéer l'iouropéen?"
Bien reçu par Cidrolin, le garçon l'en
remercie: "Sanx
et à rivedertchi", puis il se tourne vers sa compagne: "Schnell!
Onivati oder onivatipa?" Quand on voit le barda que se coltine
cette sorte de nomades, on comprend qu'être campeur "est un métier de
costaud", et quand on les observe dans leur campigne, on se dit qu'il
faut vraiment qu’"ils aiment ça":
Les bistros et
les restaurants.
On en voit
de toutes sortes, on les voit à toutes les heures:
Le bistro du coin, de bonne heure:
"à la terrasse, des couples faisaient la ventouse et se
palpaient avant d'aller à leur travail",
en fin d'après-midi:
"le crépuscule se prolonge, mais cafés et boutiques
s'éclairent déjà comme si c'était pleine nuit",
"quelques couples s'attardaient encore à se biser, des
ératépistes mangeaient des sandwiches et buvaient des demis en commentant les
menus incidents du service",
ou tard le soir:
le bistrot était vide, on y rangeait les tables. Les
consommateurs devaient se contenter du comptoir et se tenir debout devant",
le bistro d'une grande gare, en milieu de journée:
"elle s'était assise à la terrasse d'une brasserie,
une grande avec des tas de consommateurs et des tas de garçons et même des
maîtres d'hôtel."
le bar "qui se donne l'air de ressembler à tous les
autres":
Lalix pénètre dans le bar, elle s'assied, "la salle
est vide: ni clients ni patron. Une trappe ouverte semble signifier que ce
dernier s'occupe dans sa cave... Soudain apparaît au niveau du plancher une
casquette... (qui) s'élève lentement. Une tête suit, puis le reste,
des épaules à la semelle... Lorsque le tout a fermé la trappe, il pivote de
trente sept degrés..."
le bistro du terminus de la ligne de bus:A la terrasse du café, des couples pratiquaient le
bouche à bouche... l'ératépiste n'oubliait pas de regarder sa montre de temps
à autre vu ses occupations professionnelles...
-Faut que je me tire.
Il tire des francs de sa poche et tape avec sur la table. Il
dit d'une voix assez haute:
- Garçon.
Le garçon s'approche pour encaisser..."
Voici un "de-luxe":
...on lui demande "s'il désirait prendre un
apéritif",On l'installe à une "belle et bonne table bien large, déjà couverte de
vaisselle et de couverts"... Cidrolin, qui s'était d'abord fait refouler, prend la
précaution, pour un second essai, de réserver.
"Lorsqu'il pénétra
dans le de-luxe, il s'aperçut aussitôt qu'il était bien inutile de
téléphoner: le restaurant était vide. On y pratiquait le déjeuner
d'affaires, mais la clientèle dîneuse s'y montrait plutôt rare. Un maître
d'hôtel demanda cependant avec hauteur si l'on avait retenu sa table... "
puis
c'est le cérémonial de la commande,
"le maître
d'hôtel, du bout de son crayon, indiquait les spécialités, les plats du
jour..."
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nous"
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